Dominique Quélen
Quélen = Enqulé Louise Bottu, 89 p., 14 euros
Franck Venaille écrivait contre le père. Dominique Quélen, ici, écrit contre, et avec, le nom du père – en jouant sur le nom du père. Sous ce titre à la fois potache et lacanien, sont rassemblés quatre textes. Entre eux se tissent l’expérience de l’humiliation née de la tyrannie d’un repoussant pater familias. « Vas-y » retranscrit directement la voix qui engueule et accable. L’enfant battu par les mots vexants, les remontrances, les insultes, les acrimonies et les menaces – avant, pour conclure, la baffe finale. Elle vient comme un point, envoyant l’enfant se coucher sans manger. Le texte suivant, « Remember », s’enfonce dans les couches intermédiaires et labyrinthiques du souvenir des humiliations répétées – les âpres vengeances méditées contre le « père fêlé, père détesté, père bête et sévère ». La souffrance de l’enfant victime sécrète une haine radicale qui nourrit de sombres fantasmes de viols, violences, cannibalisme incestueux : « becter père et mère détend les nerfs ». Le troisième mouvement s’enfonce plus loin encore ; en entrant dans son corps, le narrateur-poète change les organes de place, réaménage l’espace intérieur du corps secoué par l’expérience de l’humiliation. Enfin, avec «Tu te tais », revient le langage, l’enfance du verbe et le jeu. « Les mots lancés en l’air ne disent rien à personne », ils sont pareils à des billes cachées dans la poche puis lancées, disséminées au petit bonheur la chance. Mais en perdant ses billes, l’enfant aura peut-être surmonté l’épreuve et réussi à ne plus errer sur les chemins tapis du houx de la souffrance et du ressentiment. Porté par un style tendu comme un arc électrique où l’on devine parfois la lecture de Guyotat, ce recueil crépite d’inventivité verbale – et l’on espère pouvoir l’entendre un jour sur scène ou sur les ondes.