Élisabeth et Christian Berst
Art Brut. Le livre des livres Cinq Continents, 400 p., 55 euros
Anthologie d’extraits de livres bruts en fac-similé, ce livre rassemble des pages de plus de soixante ouvrages : du tapuscrit de l’épopée des Vivian Girls selon Darger, graphomane de Chicago connu pour ses fabuleux dessins de grand format, jusqu’à de petits carnets ou d’énormes liasses de dessins et d’écrits (Wölfli), des « bandes dessinées » anciennes (Heinrichshofen), des collages (Cadi), des récits de voyages imaginaires (Dellschau), des séries de vignettes faites par un sourd de naissance (James Castle) des chroniques, des menus et recettes (Kobayashi), des textes illisibles (Murray), des messages envoyés par des esprits, des prières, des listes, des répertoires, des relevés météorologiques, un grimoire illuminé (Pierre Richard), un codex encyclopédique (Giraldo)… Des livres que présentent les notices rédigées avec rigueur et poésie par Manuel Anceau. Au-delà de l’idée des fous littéraires chère à Raymond Queneau, l’institution du livre est remise en cause par les dérives les plus diverses et les plus inventives sur le plan graphique. Qu’est-ce qu’un livre ?, finit-on par se demander devant cette bibliothèque improbable. C’est d’abord un objet sacré et secret, puis un objet produit en masse par l’industrie culturelle. L’art brut retourne à un artisanat à la fois plus sommaire et plus raffiné. En dehors de la technique d’impression, ces réalisations d’ordre privé, sans public ni publicité, nous fascinent autant parce qu’elles échappent au régime de la communication dominant aujourd’hui. La forme livresque relie, donne une unité, une cohérence à des écrits et dessins souvent entremêlés. L’esthétique du livre d’artiste, qui est devenu un genre, gagnerait à se confronter à cette livraison foisonnante de livres bruts capables de détourner une forme culturelle et de s’en emparer pour faire oeuvre de manière singulière.