Pier Paolo Pasolini
Porno-Théo-Kolossal Mimésis, 125 p., 12 euros
À lire certains romans, on se dit parfois que leur seule vocation est d’être adaptés en téléfilms ; mais ça arrive aussi, c’est rare, de tomber sur un scénario qui a tout du grand roman. C’est le cas de Porno-Théo-Kolossal de Pier Paolo Pasolini – un texte méconnu, inédit en langue française, édité par Mimésis (on les remercie). Après avoir longuement hésité sur le titre, Pasolini opte finalement pour le plus direct : Porno pour dénoncer la domination sexuelle du pouvoir et affirmer le côté provocateur de l’oeuvre ; Théo pour souligner la métaphore biblique formant la trame du récit ; Kolossal pour le côté grand spectacle d’une production à gros budget. À la suite de Salò, Pasolini s’apprête à tourner un film hagiographique, prévu pour 1976-77, avec Eduardo de Filippo dans le rôle du roi mage Epifanio, et Ninetto Davoli, son grand amour et acteur fétiche, dans celui du jeune valet Nunzio. Le cinéaste est assassiné en 1975 ; le projet reste à l’état d’ébauche. À la lecture, on ne peut que fantasmer les séquences qu’il aurait pu tourner – dont certaines ont été adaptées par Abel Ferrara dans son Pasolini (2014). Le récit évoque une aventure sans fin. Partant de Naples, Epifanio et Nunzio suivent le tracé d’une comète nommée « Idéologie », qui les mène de Sodome (Rome) à Gomorrhe (Milan), puis Numance (Paris), jusqu’en Mésopotamie, à Ur, où le Messie doit naître. Une fois leur but atteint, non seulement le Messie est déjà né, mais il est déjà mort et oublié. Il n’y a aucune vérité à découvrir : ni la religion ni le Paradis n’existent. La comète n’est qu’« une illusion » nécessaire à la connaissance de « la réalité du monde ». Un scénario baroque purement pasolinien, où s’entrelacent le sacré, la religiosité hétérodoxe, la dénonciation de l’idéologie, la tradition, la transgression, l’action et le mysticisme du réel. Oui, du Paso-Kolossal.