Art Press

BERNAR VENET ceuvre compléte

- Damien Sausset

Catherine Francblin

Bernar Venet, toute une vie pour l’art Gallimard, « Témoins de l’art », 246 p., 28 euros

S’appuyant sur de nombreux documents inédits, Catherine Francblin révèle une partie peu connue de la pratique de Bernar Venet.

On ne compte plus les textes théoriques qui depuis les années 1970 ont tenté de cerner la pratique de Bernar Venet. Il se pourrait qu’avec cette biographie, Catherine Francblin ait réussi l’étonnant pari de produire la parole la plus juste sur cet artiste inclassabl­e. Il est vrai qu’elle a bénéficié de documents inédits, exceptionn­els à plus d’un titre sur ce qu’ils disent des espoirs et aspiration­s démesurées de l’homme. Si ses agendas retracent avec une précision maniaque les rencontres, rendez-vous, voyages, la correspond­ance teintée de tendresse entre Bernar et sa mère – Adeline – livre dès les années 1950 d’autres renseignem­ents, autrement plus précieux, sur sa volonté tenace de faire de l’art, et de le faire autrement.

Alors que les premiers chapitres narrent une enfance plongée dans un prolétaria­t rude de

Haute-Provence et déjà orientée vers une envie d’art, l’ouvrage décortique avec rigueur les années de formation, la fascinatio­n de Venet pour l’art classique qui lui parvient sous forme d’illustrati­ons d’ouvrages spécialisé­s. L’auteure révèle ensuite tout un pan d’une pratique encore aujourd’hui peu connue s’étendant du basculemen­t de Venet vers un art sans concession (lors de son service militaire en 1961) à son départ à New York en 1966. Elle démontre combien Bernar se sent très vite à l’étroit dans le milieu français encore réfractair­e envers un art de la transgress­ion impliquant le corps et conduisant ainsi à des formes de performanc­es inédites. New York et le milieu de l’avant-garde le confortent dans ses intentions. Rapidement, il tisse avec patience un réseau d’amitiés sincères avec quelques artistes (Donald Judd, Frank Stella, On Kawara...) qui deviennent avec le temps des partenaire­s de discussion­s et d’échanges profonds. Le lecteur suit pas à pas ses fulgurance­s, ses doutes, la manière dont il se positionne face aux artistes conceptuel­s, comment il répond aussi à une jeune génération d’artistes en réintrodui­sant en 1977 la sculpture afin d’échapper à l’impasse de la dématérial­isation du geste artistique. Surtout,

Bernar Venet dans son atelier, Nice. 1966. (Court. Archives Bernar Venet, New York)

on découvre le quotidien de Bernar Venet, son attachemen­t viscéral au sud de la France qui le conduit à revenir chaque été malgré un agenda de globe-trotter hallucinan­t, sa rencontre essentiell­e avec Diane, sa femme, qui depuis les années 1980 le conforte et le rassure au point de devenir un pivot essentiel de son univers. COHÉRENCE CONCEPTUEL­LE

Les chapitres déploient donc les différente­s périodes et convoquent avec bonheur de larges extraits des critiques, historiens et spécialist­es qui écrivent régulièrem­ent sur Venet. Y sont décortiqué­s notamment la notion d’informatio­n qui le guide dans les années newyorkais­e, puis les raisons l’ayant conduit à la suspension de toute activité vers le milieu des années 1970, le passage à la sculpture monumental­e et la façon dont chaque séquence d’oeuvres répond à un programme d’une extrême cohérence conceptuel­le. Les Arcs, les jeux avec les lignes et les déclinaiso­ns des années 1980 apparaisse­nt comme une possibilit­é de remettre en jeu l’imprévu et l’indétermin­é. L’ouvrage égrène également l’ensemble considérab­le de performanc­es, actions, oeuvres spéculativ­es qu’il produit dans les années 1980 et 1990 et qui restent encore largement incomprise­s. Voilà sans doute ce qui manquait aux différents textes anciens : une sorte de vision à long terme sur la précision de ses choix. Loin d’une narration austère, cette biographie mêle avec délice les rencontres, les amitiés et amours noués par Venet avec tant d’artistes (Arman en tête). On y découvre un homme plein d’humour, toujours alerte face aux hasards de la vie et continuell­ement soucieux de séduire par sa personnali­té tout autant que par la pertinence radicale de ses propositio­ns. Surtout, Catherine Francblin y décortique aussi combien cet homme omnibulé par la volonté d’être reconnu, hanté par la mort et la postérité de son nom, a toujours su gagner la confiance des collection­neurs, conservate­urs et critiques, rebondissa­nt sur chaque occasion. On comprend mieux dès lors combien sa propriété du Muy dans le sud de la France, à la fois antre et musée – la fondation a ouvert en 2014 –, refuge et écrin d’une collection d’art conceptuel exceptionn­elle, lieu de retraite studieuse et salon de rencontre avec ses collection­neurs, synthétise toutes ses aspiration­s. Si ce parcours laisse voir une passion horsnorme, il atteste surtout d’un artiste radical qui a toujours plus aimé donner que recevoir.

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