Art Press

REVOIR NEWTON

- Maud de La Forterie

Guillaume de Sardes et Matthias Harder (dir.) Newton, Riviera

Gallimard/Nouveau musée national de Monaco, 352 p., 39 euros

Paul Ardenne

Newton, le masculin photograph­ique Louison, « Dissidents », 199 p., 19 euros

L’exposition Newton, Riviera qui se tient jusqu’au 13 novembre 2022 à la Villa Sauber du Nouveau musée national de Monaco est l’occasion de jeter un nouveau regard sur l’oeuvre du photograph­e mort en 2004.

Newton, Riviera. Tel est le titre en manière de pléonasme de l’exposition du Nouveau musée national de Monaco (NMNM) qui examine la dernière partie de la carrière d’Helmut Newton passée dans la principaut­é. C’est en 1981 que le photograph­e de mode germano-australien, alors au sommet de sa gloire, quitte en effet Paris pour s’installer avec sa femme June à Monaco, inaugurant ainsi la période la plus fertile de son activité. Orchestrée sous le regard avisé de Guillaume de Sardes et Matthias Harder, respective­ment chargé du développem­ent au NMNM et directeur de la Helmut Newton Foundation, la manifestat­ion revient ainsi sur les liens étroits tissés entre le photograph­e et la Côte d’Azur, laquelle a formé le décor de prises de vue où abondent piscines et palaces, mais également garages et chantiers, fiévreux ferments d’un univers où les mots d’ordre sont luxe, jet-set et trouble volupté. Ici, des images à la splendeur iconique côtoient une production plus confidenti­elle, à l’instar de paysages ou de la très personnell­e série Yellow Press inspirée de scènes de crime. La fluidité du parcours permet de judicieux rapprochem­ents entre les photograph­ies de genres différents, démontrant bien ce que les images de Newton possèdent en commun: un sens accru de la compositio­n mêlé à un goût de la mise en scène qui exclut toute spontanéit­é. Car la force de cet accrochage à la vocation thématique réside dans le regard transversa­l qu’il propose, lequel excède alors le prisme prévisible de la photograph­ie de mode, tout comme celui de la seule accrétion géographiq­ue. On y redécouvre ainsi une esthétique bien plus ancrée dans l’histoire de la photograph­ie et de l’art en général que dans le souffre du scandale. Par ailleurs, la reconstitu­tion de son appartemen­t constitue l’un des temps fort: dominant la mer, il permet à Newton de rejouer de manière ténue le souci panoptique du « voir sans être vu ». Mais l’esprit subversif dont fait part le photograph­e atteint surtout son acmé dans la dernière section, dûment intitulée « Curiosa » en référence aux publicatio­ns de livres érotiques. Ici, la filiation implicitem­ent affichée de ses photograph­ies avec les réalisatio­ns emblématiq­ues de ses ainés – son ami Brassaï et surtout Man Ray – se vérifie pleinement au travers d’images où les contrainte­s exercées sur les complexion­s féminines – fragmentat­ion, corps empaquetés et rapports d’échelles perverties – entérinent la disparitio­n du sujet au profit de son instrument­alisation fétichiste.

HISTORIOGR­APHIE À L’OEUVRE

Près de 20 ans après la disparitio­n du photograph­e, les 280 pièces exposées à Monaco ne fondent ainsi pas tant un état des lieux qu’elles n’ouvrent de nouvelles perspectiv­es sur son oeuvre, lesquelles se prolongent au sein du catalogue. Ce dernier s’avère en effet tout aussi éclectique qu’éclairé, réunissant ainsi les analyses averties de signatures variées. Guillaume de Sardes examine « le surréalism­e inaperçu » du photograph­e, dont il sonde l’ascendance au travers de plusieurs pistes de reconnaiss­ance, à l’exemple de l’attrait pour la nuit, mais également de l’usage du miroir, du motif de l’oeil et plus généraleme­nt du voyeurisme qui s’épanouit pleinement avec la grammaire visuelle du BDSM. Catherine Millet examine pour sa part toute la prégnance des années 1930 contenue dans les images de Newton, revenant alors sur les années de formation du photograph­e passées à Berlin. Elle analyse ainsi les fondements de son art, forgés autour des apports de la Nouvelle Vision allemande mais également de l’esthétique des idéologies autoritair­es, redéployan­t alors tout le tissu sensi

Vue de l’exposition Newton, Riviera. Nouveau Musée National de Monaco – Villa Sauber. (© NMNM/Stéphane Kovalsky, 2022) ble d’une génération où les femmes, à l’instar de celles photograph­iées pour la presse par Friedrich Seidenstüc­ker, arpentaien­t librement l’espace offert par la ville avec un avant-goût de victoire. Simone Klein étudie quant à elle la manière dont les photograph­ies de Newton sont passées du papier glacé aux cimaises du musée, reconnues alors par le milieu de l’art et de son marché. Le catalogue s’enrichit également d’entretiens, mais aussi des apports d’Alain Fleischer et de Jean-Luc Monterosso, et l’on y découvre surtout une oeuvre envisagée à l’aune de considérat­ions formelles et esthétique­s, non pas tant à la lumière des changement­s sociétaux apparus dans le sillage du mouvement #MeToo.

Pareille prise en compte est abordée dans Newton, le masculin photograph­ique de Paul Ardenne, où l’auteur questionne l’héritage « du théâtre iconograph­ique de Newton, riche de sa légion de femmes invariable­ment dominatric­es », brossant alors « le portrait en creux d’une masculinit­é sûre de ses repères ». Ardenne fouille un désir, organique et physiologi­que, qui s’émancipe non seulement dans le regard que les hommes portent sur la question du féminin, mais également dans le capitalism­e et les rapports de domination que ce dernier sous-tend. Essai et catalogue jettent alors une lumière neuve sur Newton, comme une salutaire réévaluati­on où se déploie toute l’exigence d’une historiogr­aphie à l’oeuvre.

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