Art Press

Jean Louis Schefer

- Jacques Henric

Jean Louis Schefer est mort le 7 juin. Il était né en décembre 1938. Cet ami cher de Catherine Millet et moi, comme d’artistes dont nous avons suivi l’oeuvre, tels Martin Barré et Bernar Venet, fut pendant des années un collaborat­eur précieux d’artpress. Il publia par ailleurs dans Tel Quel, Critique, les Cahiers du cinéma, Trafic, et dirigea à partir de 1983 l’excellente revue Café. Jeune, après sa rencontre avec Roland Barthes, il mit fin très vite à sa carrière universita­ire. Le classer ? Impossible. Philosophe, iconologue, historien de l’art, critique de littératur­e et de cinéma qui aurait été formé par les mouvements en vogue à l’époque, à savoir le structural­isme et la psychanaly­se ? Rien de tout cela. Sa grande culture, sa discrète et profonde érudition, sa sensibilit­é, son regard aigu porté sur les images du monde et sur lui-même lui ont fait traverser avec une grande liberté les sciences et les théories de son temps, sans qu’il oubliât cependant d’en faire son miel. Disons que Jean Louis Schefer fut en vérité, entre autre par la qualité littéraire de son écriture, un écrivain à l’égal des meilleurs de sa génération.

Le premier contact que nous avons eu avec lui, c’est après avoir lu un de ses livres publié dans la collection Tel Quel en 1968, Scénograph­ie d’un tableau (1969), essai consacré à une peinture de Paris Bordone, les Joueurs d’échecs, qui est une mise en scène liée au dessin perspectif du tableau, livre dont on peut affirmer qu’il est devenu culte dans sa catégorie aux yeux des gens de ma génération et bien au-delà. Parmi les livres qu’il a écrits jusqu’à ce dernier paru chez P.O.L, Squelettes et autres fantaisies (2016), il convient de signaler l’Invention du corps chrétien (1975, Galilée), l’Homme ordinaire du cinéma (1980, Cahiers du cinéma/Gallimard), l’Origine du crime (1985, Café-Climat), Une maison de peinture (2004, Enigmatic), et le plus ambitieux, l’Hostie profanée, histoire d’une fiction théologiqu­e ( P. O. L, 2007), qui a son point de départ dans la célèbre prédelle conservée au Palais ducal d’Urbino, le Miracle de l’hostie profanée de Paolo Uccello, essai dont Fabrice Hadjadj avait rendu compte dans artpress, le qualifiant de texte « monumental » qui interrogea­it l’histoire de l’art et le dogme chrétien.

Jean Louis fut présent dans l’aventure d’artpress par les textes qu’il nous confia, notamment à l’occasion de numéros spéciaux de la revue, par les entretiens qu’on fit avec lui, par la chronique régulière qu’il a tenue sur la vie des images, peintes ou filmées. Seraient à lire ou relire de lui, parue dans notre rubrique « Les chefs-d’oeuvre du 20e siècle », l’étude sur le tableau de Picasso, Nature morte aux pommes, les interventi­ons sur les livres de ses écrivains d’élection et sur des sujets aussi divers que le sida, les affiches de propagande politique, les émissions littéraire­s de la télévision. Jean Louis était un homme d’une curiosité insatiable, doué d’un esprit polémique qu’il manifestai­t sur le mode d’une ironie douce mais ravageuse. D’où probableme­nt son étrange et beau sourire qui illuminait souvent son visage et dont nous gardons un souvenir ému.

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