Mehdi Belhaj Kacem Colaricocovirus Exuvie, 264 p., 20 euros
Sept vagues de covid, nous sortons d’une longue période où la peur l’emporta sur la raison. Une anxiocratie, via une médicocratie étalant sur tous les médias ses prétentions scientifiques (« la science, la religion de notre temps », rappela Giorgio Agamben), régna sur nos sociétés (pas toutes, contrairement à ce que nos trouillocrates nationaux continuent de prétendre). L’épidémie révéla l’extrême fragilité de nos institutions, des démocraties dont nous sommes si fiers. Le philosophe Jean-Pierre Le Goff l’exprima très tôt : « Une bulle langagière et communicationnelle a saturé l’espace médiatique et s’est imposée une orthopraxie avec ses gestes rituels, gel, masque le matin, couvre-feu le soir, vaccins tous les six mois, pass sanitaire », avec pour conséquences une machine bureaucratique qui s’emballa : plages interdites, attestations dégradantes, agitation grandiloquente et stérile. Père Ubu fut notre tout puissant Maître. Georges Bernanos nous avait mis en garde dès 1947, dans l‘Esprit européen : « Les médecins de Molière autour de l’agonie du monde, voilà ce que vous voyez tous les jours, et vous y êtes si bien habitués qu’il vous paraîtra peut-être demain naturel de mourir vousmêmes au milieu de ces guignols. »
MAL RADICAL
Les guignols, nos guignols d’aujourd’hui, Mehdi Belhaj Kacem les met en scène dans un livre drôle et grave, écrit à chaud, qui tient du précis de philosophie, du manuel de littérature, du traité de stratégie politique (rôle des anarchistes face aux empoignades entre droite, droite extrême, sociaux-démocrates et tous les rejetons d’une extrême gauche en pleine déshérence), et j’ajoute de l’opéra-bouffe. Son titre le suggère, Colaricocovirus renvoie à une émission de télévision de la fin des années 1970 où se produisait un comique particulièrement vulgaire, Stéphane Collaro, dont le show s’appelait le Collaricocoshow.