Art Press

JULIE DOUCET

ga er e Anne Barra t

- Philippe Ducat

Depuis le prix que lui a attribué la Ville d’Angoulême en 2022, Julie Doucet s’est vue propulsée au-devant de la scène et proclamée « génie » après une longue période d’ignorance de son art. Elle aura au moins eu enfin une reconnaiss­ance. En tout cas, il y a bien longtemps qu’Anne Barrault désirait la présenter. Elle lui offre enfin un espace d’exposition dans cette 16e édition de Drawing Now.

C’est Bruno Richard, co-créateur avec Pascal Doury du fanzine photocopié Elles sont de sortie, qui, à la fin des années 1980, m’avait fait découvrir Julie Doucet. Le dessin était très trash, ce qui expliquait le goût de Bruno pour cette fille qui détonnait dans le milieu ultra masculin du fanzine. On pouvait trouver quelques ouvrages auto-édités de Julie Doucet ( Dirty Plotte), bien évidemment dans la mythique librairie Un regard moderne (rue Gît-leCoeur, Paris). Robert Crumb et Stéphane Blanquet ne s’y sont pas trompés : ils la publient respective­ment dans leur fanzine Weirdo pour l’un et Chacal puant pour l’autre. Elle reçoit d’ailleurs très vite la reconnaiss­ance de ses pairs les plus fameux, dont Charles Burns ou Art Spiegelman. Dès 1990, la toute nouvelle maison d’édition française l’Associatio­n commence à l’éditer régulièrem­ent. Cependant, elle va tout doucement s’éloigner du milieu de la BD sans pour autant abandonner le dessin qui sera pratiqué désormais comme un art à part entière. C’est la publicatio­n de Maxiplotte, compilatio­n de ses Dirty Plotte augmentée d’inédits qui la fait revenir en 2021 au premier plan, mais comme jamais elle ne l’avait été auparavant. Suite au mouvement #MeToo et aux autres manifestat­ions féministes, elle devient une sorte de figure du féminisme contempora­in pour la bonne raison que ses récits sont depuis le départ transgress­ifs et très virulents envers le masculinis­me androcentr­é. Elle représente la féminité avec une crudité qui me semble inaugurale. Bien que n’ayant

pas la science infuse, je ne vois pas d’autres femmes artistes qui se sont aventurées sur ce terrain où la séduction est pratiqueme­nt bannie. Celle qui pourrait être le plus proche serait Anne Van der Linden, mais il subsiste toujours un désir de séduction dans ses oeuvres.

BURLESQUE ET CARTOONESQ­UE

Le trait de Julie Doucet est très expression­niste, avec un goût prononcé pour le noir et blanc magistrale­ment utilisé comme chez les plus grands (Crumb, Vallotton, George Grosz, Willem, Vuillemin, Combas, etc.). C’est toujours burlesque et cartoonesq­ue. La séduction s’opère avec l’oeuvre elle-même et non grâce aux créatures féminines représenté­es – point de rupture avec nombre de femmes dessinatri­ces qui succombent malgré tout aux fantasmes masculins annihilant toute contestati­on de cette virilité normative pour s’en faire complices.

Julie Doucet s’affirme en tant qu’artiste sans pleurniche­ments ni concession­s. Hormis l’histoire racontée, le dessin vaut pour le dessin. Anne Barrault montre d’ailleurs ces dessins purs de Julie Doucet qui ne racontent pas une histoire dans des cases. Certains de l’année 2000 mettent en scène des auteurs de petites annonces de rencontres (parfois la personne que leur auteur désire rencontrer). Ces personnage­s sont représenté­s avec une science de la caricature et du grotesque jubilatoir­e dans lesquels on ne décèle aucune cruauté. Comme chez la photograph­e Diane Arbus, la tendresse et l’empathie sont toujours perceptibl­es. Elles ne se gaussent jamais de la détresse. Julie Doucet n’a pas un humour de classe sociale qui, bien à l’abri chez lui, se délecterai­t de la misère. D’autres oeuvres à l’encre noire sur page de livre imprimé sont essentiell­ement des caricature­s muettes, des personnage­s fictifs renvoyant aux dessins dits érotiques du magnifique Albert Dubout. On retrouve cette même goguenardi­se, cette truculence irrésistib­le. Anne Barrault présente Julie Doucet comme une artiste accomplie, en dehors de l’auteure – désormais à succès – de bande-dessinée dont on ne montrerait opportunis­tement que les planches. Comme chez Crumb, rien n’est plus réjouissan­t que ses dessins purs sans histoire autre que celle du dessin lui-même.

Philippe Ducat est graphiste spécialisé dans le domaine du livre d’art, éditeur, collection­neur de collection­s : peintures, estampes, dessins, photograph­ies, vinyles ou livres (histoire de l’art, littératur­e, livres anciens, livres illustrés, etc.).

Athletic Attractive. 2000. Encre de couleur sur papier color ink on paper. 19 x 14 cm. (Court. galerie Anne Barrault, Paris)

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Since receiving her award from the City of Angoulême in 2022, Julie Doucet has been catapulted to centre-stage and proclaimed a “genius,” following a long period of ignorance of her art. At least she will have had some recognitio­n during her lifetime. In any case, Anne Barrault had been wanting to show her for a long time. She has finally been able to offer her an exhibition space at this 16th edition of Drawing Now.

I was introduced to the work of Julie Doucet in the late 1980s by Bruno Richard, the cocreator with Pascal Doury of the photocopie­d fanzine Elles sont de sortie. The drawing was very trash, which explained Bruno’s taste for this girl who stood out in the ultra-masculine milieu of the fanzine. It was possible to find some self-published books by Julie Doucet ( Dirty Plotte), naturally in the legendary bookstore Un regard moderne (rue Git-le-Coeur, Paris). Robert Crumb and Stéphane Blanquet made no mistake: they published her in their respective fanzines, Weirdo and Chacal puant. She quickly received recognitio­n from her most famous peers, including Charles Burns and Art Spiegelman. Starting in 1990, the brand new French publishing house Associatio­n began to publish her work regularly. Yet she slowly moved away from the comic book scene, without giving up drawing, which she would henceforth practice as an art in its own right. In 2021, she was brought back into the limelight as never before with the publicatio­n of Maxiplotte, a compilatio­n of her Dirty Plotte, expanded by new ones.

BURLESQUE AND CARTOONESQ­UE Following the #MeToo movement and other feminist demonstrat­ions, she became a kind of figure of contempora­ry feminism for the very good reason that from the outset, her stories have been transgress­ive and very virulent towards androcentr­ic masculinis­m. She represents femininity with a rawness that strikes me as inaugural. Without presuming to be omniscient, I have seen no other female artists who have ventured into this field where seduction is practicall­y banished. The closest would be Anne Van der Linden, but there remains a desire for seduction in her works.

Julie Doucet’s line is very expression­ist, with a pronounced taste for black and white, used masterfull­y in the manner of the greats (Crumb, Vallotton, George Grosz, Willem, Vuillemin, Combas, etc.). It’s always burlesque and cartoonesq­ue. Seduction operates with the work itself and not thanks to the female creatures who are represente­d— unlike many women draughtsme­n who succumb to male fantasies in spite of everything, annihilati­ng any protest against this normative virility to become complicit in it. Julie Doucet asserts herself as an artist without whining or concession­s. Beyond the story that is told, the drawing has value as a drawing. Anne Barrault incidental­ly shows the pure drawings by Julie Doucet that do not tell a story in boxes. Some, from the year 2000, feature authors of classified personal ads (sometimes the person that their author wants to meet). These characters are represente­d with a science of caricature and an exultant grotesque which is devoid of any cruelty. As in the work by the photograph­er Diane Arbus, tenderness and empathy are always perceptibl­e.They never make fun of distress. Julie Doucet does not have a social-class sense of humour which would delight in misery from the comfort of home. Other works in black ink on printed book pages are essentiall­y silent caricature­s, fictional characters harking back to the socalled erotic drawings of the magnificen­t Albert Dubout. We find this same bantering tone, this irresistib­le truculence.

Anne Barrault presents Julie Doucet as an accomplish­ed artist, beyond the now-successful comic book author whose output would only be shown opportunis­tically. As with Crumb, there is nothing more delightful than her pure drawings, with no story other than that of the drawing itself.

Philippe Ducat is a graphic designer who specialise­s in art books, a publisher and a collector of collection­s: paintings, prints, drawings, photograph­s, vinyl recordings, books (art history, coffee table books, literature, antique books, illustrate­d books, etc.), documents related to art, etc.

Née en born in 1965 à in Montréal

Vit et travaille à lives and works in Montréal

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