Art Press

Clarisse Gorokhoff

- John Jefferson Selve

Défaire l’amour

Robert Laffont, « Confession­s », 288 p., 20 euros Allons-y ! Citons la Recherche, puisqu’ici, comme dans les autres livres de Clarisse Gorokhoff, il n’est question au fond que de « Recherche » majuscule. Quand chez Proust, Swann soupirait : « Dire que j’ai gâché ma vie pour une femme qui n’était pas mon genre. » Gorokhoff, elle, se murmure tout le long de Défaire l’amour : « Dire que je pourrais gâcher ma vie pour un homme qui est mon genre. » Et si la trame principale de son livre-confession narre l’éternelle histoire d’une rencontre amoureuse jusqu’à sa chute – son aventure stamboulio­te avec Onur –, son récit ne se départit jamais d’un sentiment d’odyssée. Parce que Gorokhoff sait que tout bon roman ne se meut que du désir inquiétant de se détourner de son destin. C’est dire que son livre parle d’écriture, de sexe et de mort. Et si l’existence virevolte, abyssale et suintante, elle n’en a pas moins, dans de sombres éclairs, le poids d’un cétacé gisant sur une plage. « J’ai longtemps considéré les gens qui ne s’étaient pas pris la mort en pleine tronche comme des sous-humains », écrit-elle. Dans la puissance de sa sincérité, l’écrivaine apparait aujourd’hui telle une cousine d’Emma Becker, acuité misanthrop­ique en moins, parce qu’elle ne cesse de poursuivre le rire et les désirs en tous sens. C’est ainsi qu’elle dompte ses démons et que son écriture s’abandonne pour nous saisir : « Pendant des années, j’ai cherché un peu partout la preuve irréfutabl­e de la fin d’une femme. Pas dans les cimetières ni dans les faits divers, pas même à la télé, non… Je l’ai traquée dans des sensations, dans le vertige. Pas dans des images, toujours trop trash, trop vulgaires. Je l’ai trouvée dans un sexe d’homme percutant ma glotte, dans un énième verre d’alcool, dans un dédale de faisceaux lumineux, dans le petit goût de finitude qu’on ressent quand on se barre en courant. »

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