Jean Frémon
La Blancheur de la baleine P.O.L, 352 p., 26,90 euros
Jean Frémon rassemble dans ce livre des textes dédiés à quelques compagnons de route. L’approche de ces écrivains et artistes, portée par une langue chargée d’émotions et d’associations fertiles, prend le chemin buissonnier du biographique et de l’anecdotique. Ainsi, il évoque, entre autres, le curriculum vitae de JeanClaude Hémery, les souvenirs d’enfance de Marcel Cohen, les choses bues à la santé de Claude Esteban, les dédicaces de Roger Laporte, les derniers jours de Jannis Kounellis, les « copeaux » laissés par un long voisinage avec Jacques Dupin, la récurrence des chaussures dans les livres de Samuel Beckett, l’histoire d’amour entre David Hockney et la France ou l’élégance de Jean-Louis Schefer. L’anecdote n’a pourtant ici rien de la vignette narrative qui apporte son éclairage bienvenu bien que secondaire. Elle ne se situe pas sur le registre de l’explication mais de l’interrogation et de ses déflagrations inattendues. Elle participe à cette hétérogénéité de l’intime qui a besoin de théâtralité pour révéler les failles et leurs contrepoids. Le livre ouvre à cette quête sans fin du réel « multiplié par l’imaginaire », de l’oeuvre qui se révèle comme une blessure secrète, entretenue par la singulière alliance de la gravité et de la frivolité. Frémon convoque ainsi cette « grâce » nommée temple en tauromachie quand le torero accorde le déplacement de l’étoffe à la vitesse de la charge du taureau qui, tête baissée, cherche le leurre sans jamais parvenir à le toucher. Chaque portrait se présente à bonne distance, sans proximité excessive ni éloignement dissuasif. Il opère avec cet aplomb qui ne néglige jamais de prendre le risque de l’audace et de l’allégresse tout en conservant un sens de la tempérance, une lucidité qui n’exclut pas la bienveillance. Un juste arrangement s’y fait jour. Toujours.