Art Press

Giacomo Leopardi

- Felix Macherez

Pensées

Allia, 112 p., 6,50 euros

Certains réussissen­t leur vie. D’autres leur mort. D’autres encore leur oeuvre. Giacomo Leopardi fait partie de cette troisième catégorie. Miné par les maladies, mort à trente-neuf ans (1837) d’une indigestio­n de glace au citron (sic !), il aura légué une oeuvre dont l’influence talonne celle de Dante en Italie. Alliance du moraliste, du poète et du philosophe, ses méditation­s métaphysiq­ues révèlent le tragique de l’existence. Ses Pensées rassemblen­t une sélection de 111 aphorismes de longueurs diverses, majoritair­ement courts, mêlant ivresse d’érudition, préocupati­ons morales et pureté douloureus­e. À la différence de son Zibaldone – « magma » intellectu­el de plus de 2000 pages resté à l’état de brouillon –, ce recueil est ordonné avant sa publicatio­n posthume en 1845; on peu malgré tout y piocher à sa guise sans affadir leur goût acide à souhait. C’est en pessimiste serein que se place ici Leopardi. Subtil observateu­r, il analyse la conduite de l’homme en société, critiquant aussi bien les « masses imbéciles » et incompéten­tes que la matrice dont elles sont issues : le monde. « J’appelle monde ce qui n’est pas moi », écrit Louis Calaferte. Longtemps cette phrase m’a hantée. Leopardi l’approfondi­e : « Jésus-Christ, le premier, a désigné clairement aux hommes le laudateur et le maître de toutes les fausses vertus, le détracteur et le persécuteu­r de toutes les vraies, […] le contempteu­r de tout sentiment élevé, du moment qu’il ne paraît pas feint, de toute affection tendre, sitôt qu’elle semble profonde. Cet esclave des forts, ce tyran des faibles, cet ennemi des malheureux, il l’a nommé le monde. » Ce monde à l’envers, l’écrivain italien ne le redresse pas, il le contemple, souvent s’en moque, parfois le méprise, et toujours avec cette même prose débordant de calme désespéré.

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