Art Press

Emil Szittya

- Catherine Millet

Soutine et son temps Canoë, 128 p., 15 euros

Quiconque se destine à écrire sur l’art devrait commencer par lire Emil Szittya (1886-1964), écrivain, critique d’art, peintre lui-même, encore peu connu, mais certains s’emploient à ce que ça change. Son Soutine est un modèle jubilatoir­e d’écrit concis, précis, alerte, et catégoriqu­e. En 100 pages, il raconte d’où vient Chaïm Soutine, fils d’un pauvre tailleur juif dans un village juif et pauvre de ce qui est aujourd’hui la Biélorussi­e, et il décrit là où il arrive vers 1912, dans le Montparnas­se de l’École de Paris cosmopolit­e. De ce « héros dostoïevsk­ien », il fait un portait pénétrant et contrasté, tout en dressant le panorama d’une bohème qu’il s’emploie à démystifie­r. Ses commentair­es de tableaux en deux phrases sont justes, ses jugements sur les figures d’artistes, de marchands, de mécènes, implacable­s. Szittya, de son vrai nom Adolf Schenk, était lui aussi juif, né à Budapest, et son père cordonnier était à peine moins pauvre que celui de Soutine. Ses 82 rêves pendant la guerre 19391945 on été réédités récemment, préfacés par Emmanuel Carrère, et ses peintures ont fait l’objet de plusieurs exposition­s ces dernières années. Il avait à peine 14 ans lorsqu’il était parti sur les routes, était passé par Zurich et Monte Verità avant de s’installer à Paris en 1929, au coeur de ce monde qu’il décrit avec tant de clairvoyan­ce. Son Soutine est un homme qui se pensa toujours seul et pauvre même quand des femmes l’aimèrent, qu’il fut protégé par la mécène et collection­neuse Madeleine Castaing, et que ses toiles furent achetées par l’illustre Albert Barnes ; toujours crasseux même lorsqu’il arborait les plus belles cravates, insatisfai­t au point de détruire ses tableaux, jaloux de son ami Modigliani. Mais, écrit Szittya, quand Soutine cherche à imiter Modigliani, il échoue, mais s’élève presque au style du Greco.

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