Carrie Mae Weems. The Shape of Things
Fondation Luma / depuis le 26 mai 2023
Depuis sa première série de photographies Family Pictures and Stories (1978-1984) et tout au long de ses années de production, Carrie Mae Weems (États-Unis, 1953) a interrogé l’histoire américaine pour la remettre en question. Se confrontant dès ses débuts aux stéréotypes étroitement liés au racisme tout comme à l’identité de genre, l’artiste a déployé une oeuvre prolixe où la photographie côtoie de grandes installations, propice à générer chez le spectateur une sensible réflexion. Weems utilise ainsi la performance, le cinéma mais aussi le son, abordant alors ses thématiques sous l’angle de la narration.
Ses travaux sont rarement montrés en France, si bien que l’exposition que lui consacre la fondation Luma a valeur d’événement. Initiée en 2021 par le Park Avenue Armory (New York) et intitulée The Shape of Things, soit littéralement « La forme des choses », elle instruit en effet un regard sans complaisance sur la vie politique américaine dont l’artiste souligne ici toute la qualité circassienne.
En s’appuyant sur ses productions antérieures où textes et références historiques se superposent à une iconographie contemporaine, Weems pose un regard d’archéologue sur un présent devenu instable. Dans ses oeuvres méticuleusement composées, elle réfléchit aux représentations du pouvoir qu’elle cherche délibérément à déstabiliser, travaillant alors à rendre compte de toute la charge fantomale de l’histoire, de tout le poids du passé.
Comme brouillant les temporalités, l’artiste emprunte ainsi aux techniques cinématographiques mais aussi aux effets spéculaires à la teneur surannée des siècles précédents : diorama et théâtre d’ombres, cyclorama et techniques d’illusions par reflets comme celui du fantôme de Pepper. Weems revisite les événements enracinés dans la culture américaine qu’elle met en miroir avec la myriade d’épisodes vécus ces dernières années, notamment dans le sillage du mouvement Black Lives Matter. Car partout, les oeuvres soulèvent de multiples questions relatives à l’archive et à la mémoire, ferments d’une construction identitaire où histoire et culture sont étroitement liées, ces dernières formant le terreau d’une brûlante actualité. De manière sensible, Weems s’attache à rendre compréhensibles des réalités à l’ambiguïté certaine, formulant de manière visuelle les phénomènes les plus complexes de la société. Les mécanismes sociaux qui régissent l’ordre américain, avec l’ensemble des forces historiques et culturelles qu’ils requièrent, prennent une forme optique délestée du poids des commentaires écrits. Le son y a toute sa place. Des portevoix disséminés nous le rappellent et semblent faire écho à une série de photos dont la veine documentaire renseigne sur les dispositifs d’écoute aujourd’hui obsolètes, lesquels semblent laisser résonner les voix du passé qui les ont traversées. « Remember to dream » : telle est également la formule apposée sur les cimaises de la fondation. Et tout comme le soulèvement, le rire est ici de mise, comme un appel à élever les voix que l’on ne saurait entendre.
Maud de la Forterie
Since her first series of photographs entitled Family Pictures and Stories (1978-1984), and throughout her years of production, Carrie Mae Weems (USA, b. 1953) has been questioning and challenging American history. From the outset, the artist has confronted stereotypes closely linked to racism and gender identity, developing a prolific body of work combining photography and large-scale installations to elicit a sensitive reflection from viewers. Weems uses performance, film and sound to approach her themes from a narrative perspective.
Her work is rarely shown in France, so the exhibition devoted to her by the Luma Foundation is a major event. Initiated in 2021 by the Park Avenue Armory (New York) and entitled The Shape of Things, it takes an uncompromising look at the circus-like quality of American political life.
Drawing on her earlier work, which superimposed texts and historical references on contemporary iconography, Weems takes an archaeological look at a present that has become unstable. In her meticulously composed works, she reflects on the representations of power that she deliberately seeks to destabilise, working to capture all the ghostly burden of history, all the weight of the past.
As if blurring temporalities, the artist borrows not only from cinematographic techniques but also from the outdated specular effects of previous centuries: dioramas and shadow theatre, cyclorama and reflective illusion techniques such as Pepper’s ghost. Weems revisits events rooted in American culture, comparing them with the myriad episodes experienced in recent years, particularly in the wake of the Black Lives Matter movement. Throughout, the works raise a host of questions about archives and memory, the building blocks of a sense of identity in which history and culture are closely intertwined, jointly forming the substance of an extreme topicality. In a sensitive manner, Weems endeavours to make ambiguous realities understandable, giving visual expression to the most complex social phenomena. The social mechanisms that govern the American order, with all the historical and cultural forces that they involve, take on an optical form unburdened by the weight of written commentary. Sound plays an essential role. Scattered megaphones remind us of this, seeming to echo a series of photos whose documentary component provides information about listening devices that are now obsolete, and which seem to allow the voices of the past to resonate through them. “Remember to dream” is also the slogan displayed on the walls of the Foundation. Laughter is essential here, as much as uprising, as a call to elevate the voices that cannot be heard.
Carrie Mae Weems. The Shape of Things. Vue d’installation view.
De gauche à droite from left Remember to dream, 2023, A Case Study, 2021, Painting the Town 1 et and Seat or Stand and Speak, 2021-23. (© Victor&Simon - Joana Luz)