Lionel Sabatté. Pollens clandestins
Domaine national de Chambord / 14 mai - 17 septembre 2023
Invité en résidence au domaine national de Chambord, Lionel Sabatté (France, 1975) livre le fruit de sa fertile imprégnation au sein d’une importante exposition dûment intitulée Pollens clandestins. Car ici, ce sont près de 150 oeuvres qui fécondent subtilement le joyau de l’architecture Renaissance et le parc qui l’entoure, formant alors la monographie la plus importante de l’artiste à ce jour. Pour ce faire, Sabatté a su tirer parti de l’esprit des lieux, instruisant ainsi un rapport intime avec la nature, l’animal mais aussi avec la Renaissance, au sens propre comme au figuré.
De part et d’autre de l’escalier à double révolution, prennent ainsi place des oeuvres à la matérialité inusitée où poussière, rognures d’ongles, peaux mortes et squames ont tout le loisir de s’épanouir. Embrassant une diversité de médiums et de techniques (peinture, sculpture, dessin et photographie), l’artiste concentre en effet sa pensée sur la corrosion et les matières dévalorisées, interrogeant alors le passage du temps et la fragilité. Sabatté réhabilite ce qui avait été exclu, anime d’un souffle vital ce qui a été déchu, soulignant alors toute la charge du vécu d’une matérialité en passe de délitement.
L’oeil y croise la célèbre meute de loups élaborée avec des moutons de poussière qui, lors de sa présentation en 2011 au Jardin des plantes de Paris, avait fait connaître Sabatté au public. De fait, cette matière réduite à l’état de fines particules traverse de part et d’autre les oeuvres exposées, projetant un poudroiement sur la surface des peintures ou bien permettant à la lumière de révéler des photographies de la forêt environnante. Surtout, l’artiste prélève la poussière à la manière d’un échantillonnage esthétique d’une matière temporelle. En témoignent ces cent « portraits de poussière », dessins élaborés jour après jour à partir de la poussière récoltée au château et présentés ici sous la forme d’une grille monumentale. Qu’il s’agisse d’oeuvres produites par l’oxydation de plaques de métal, celles-là mêmes où la dissolution provoque l’apparition, ou bien des grandes toiles Chrysalide (2022), figurant ce qui s’apparenterait à la fois à la carcasse et au cocon, l’ensemble laisse ici poindre l’informe et l’indétermination.
Sabatté focalise en effet son regard sur les formes larvées d’une temporalité à écrire où tout n’est question que d’échanges, de flux et de circulation, à la faveur des métamorphoses et des transformations. Pareilles transfigurations s’épanchent également au travers d’un bestiaire où la figure de la chouette est légion : labile, elle endosse dans le parc la forme d’une caverne que l’on pénètre à la manière d’un abri ( la Dame du lac, 2023) ou bien se fond à la cime de sculptures totémiques apparentées à de grands troncs d’arbre ( Champs d’oiseaux, 2023). Cette régénération confirme l’élan d’un perpetuum mobile conçu comme un tourbillon mû par une énergie primordiale qui énoncerait toute la souveraineté du renouvellement, soit celle d’une Renaissance à part entière.
Maud de la Forterie
As artist- in- residence at the Domaine National de Chambord, Lionel Sabatté (France, b. 1975) reveals the fruits of its fertile influence in a major exhibition duly entitled Clandestine Pollens. Approximately 150 works subtly fertilise the jewel of Renaissance architecture and the surrounding park, forming the artist’s most important monograph to date. In doing so, Sabatté has taken full advantage of the spirit of the place, developing an intimate relationship with nature and animals, and with the Renaissance in both the literal and figurative sense of the term.
On either side of the double spiral staircase, visitors discover works of unusual materiality, in which dust, nail clippings, dead skin and scales are given free rein to flourish. Embracing a diversity of media and techniques (painting, sculpture, drawing and photography), the artist focuses his thoughts on corrosion and devalued materials, questioning fragility and the passage of time. Sabatté rehabilitates that which has been excluded, and breathes life into that which has been discarded, highlighting the weight of a material experience in the process of disintegrating.
Here, we come across the famous pack of wolves made from dust bunnies, which Sabatté first introduced to the public at the Jardin des Plantes in Paris in 2011. This material, reduced to the state of fine particles, passes through all of the works on display, projecting a powdery sheen on the surface of the paintings or allowing the light to reveal photographs of the surrounding forest. Above all, the artist collects dust in the manner of an aesthetic sampling of a temporal material.This is illustrated by the one hundred “dust portraits,” drawings produced day after day from the dust collected at the Château and presented here in the form of a monumental grid. Be it works produced by the oxidation of metal plates, where dissolution provokes an apparition, or the large Chrysalide canvases (2022), depicting something akin to both a carcass and a cocoon, the overall effect is one of formlessness and indeterminacy. Sabatté focuses his gaze on the hidden forms of a temporality that is yet to be written, where everything is a question of exchange, flows and circulation, as a result of metamorphoses and transformations. Such transfigurations are also expressed by means of a bestiary in which the figure of the owl is legion: unstable, it takes on the form of a cavern in the park, which visitors enter like a shelter ( La Dame du lac, 2023), or melts into the top of totemic sculptures resembling large tree trunks ( Champs d’oiseaux, 2023).This regeneration attests to the impetus of a perpetuum mobile, conceived as a whirlpool driven by a primordial energy expressing the full sovereignty of renewal, that of a Renaissance in its own right.
Lionel Sabatté. Pollens clandestins. Vues de l’exposition exhibition views Domaine national de Chambord, 2023. (Photos, de haut en bas : Grégory Copitet, Aurélien Mole)