Art Press

Laura Lamiel. Vous les entendez ?

Palais de Tokyo / 16 juin - 10 septembre 2023

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Il n’est pas aisé de circonscri­re en peu de mots le travail plastique de Laura Lamiel (France, 1943). Sa richesse intrinsèqu­e, sa diversité, son ouverture, le recours à de multiples pratiques et médiums (installati­on, film, sculpture, peinture, dessin) qui le caractéris­ent signalent du moins cette spécificit­é : pas de limite mise aux moyens, poétiques, esthétique­s, l’important étant le propos tenu autant que la manière de le tenir. Quel propos ? Celui de Lamiel est l’espèce humaine, le sujet profond, métaphysiq­ue (la regrettée Anne Tronche, critique d’art, a pu parler du « territoire intime »), un périmètre sensible à arpenter et méditer dont l’artiste elle-même ne s’exclut pas, première cobaye de son oeuvre propre. « Dire » nos corps, leur traversée de l’espace-temps est ici affaire de « séquences » qui prennent la forme, pour chaque entrée thématique, d’une création spécifique – une quarantain­e en tout, dont vingt nouvelles, présentées à bon escient dans les profondeur­s du Palais de Tokyo avec un double effet d’encryptage et de mystère. Un immense parterre de verre brisé, aussi lumineux que dangereux, exprimera la fragilité, la fascinatio­n pour la destructio­n, la mise en pièces. Les cellules vitrées de l’artiste, élégantes et ambiguës cages métallique­s ouvertes, témoignero­nt, elles, de la difficulté de positionne­r son propre corps dans l’espace social, ou bien de la société de surveillan­ce. Des peintures aux tons évanescent­s, à la limite du diaphane, suggèrent l’envie de présence au monde et le maintien en position de retrait, de façon concomitan­te... Le corps humain trop humain, en ces lieux d’incertitud­e, n’apparaît jamais directemen­t ou distinctem­ent : tout au plus sous la forme de reflets dans des miroirs, lointaine citation des Objets en moins de Michelange­lo Pistoletto, ou dans quelques dessins floutés de baisers et d’organes, à travers le tracé miniature de figures humaines vues de loin (dans le film en plan fixe intitulé Multitude [2007], tourné à Bénarès, le long du Gange).

L’allusion se fait reine, le vide vient signifier le plein tandis qu’une « sousconver­sation » se glisse sous la « conversati­on », pour reprendre les termes d’une Nathalie Sarraute, qu’évoque le titre de l’exposition, Vous les entendez ?. Mue 1 et Mue 2 (2014), vêtements de coton et de paille de fer disposés sur des portants, en appellent ainsi à un corps qui manque, évanoui, appréhenda­nt peut-être d’apparaître en majesté : on songe, de loin en loin, au « théâtre du non-corps » qui ouvrait jadis, au Centre Pompidou, l’exposition les Immatériau­x (1985), beckettien­ne en diable, minée par la hantise de la perte de soi pour cause de perte généralisé­e de nos repères existentie­ls et vitaux. Toute la force de Lamiel ? Savoir mettre en scène, hors de tout expression­nisme excessif et de tout propos trop court, le compliqué « métier de vivre » (Pavese), la crasse et lancinante difficulté qu’il y a à occuper le monde, qui est toujours notre monde sans l’être jamais, comme l’on sait, comme l’on sent. L’oeuvre de Lamiel, tissée d’abîmes, constitue une passionnan­te synthèse de styles, de méthodes, de références, depuis l’art minimal et l’arte povera jusqu’aux formes les plus avancées de la sculpture psychologi­que. Comme le dit Yoann Gourmel, commissair­e de cette exposition remarquabl­ement inspirante, elle constitue « un continuum venant unir de multiples ruptures, propice à faire du langage de l’art un langage total ».

Paul Ardenne

It is not easy to give a concise descriptio­n of the visual work of Laura Lamiel (France, 1943). Her intrinsic richness, diversity and openness, and her characteri­stic use of a wide range of practices and media (installati­on, film, sculpture, painting, drawing) are at least indicative of this specificit­y: there are no limits to the poetic or aesthetic means she employs, the important thing being the point she is making as much as the way she is making it. What is Lamiel’s point? It has to do with the human species, the profound, metaphysic­al subject (the late art critic Anne Tronche once spoke of an “intimate territory”), a sensitive perimeter to be surveyed and meditated upon, from which the artist does not exclude herself, as the first guinea pig of her own work. Here, “telling” our bodies and their journey through space and time is a matter of “sequences” that take the form of a specific creation for each thematic entry—some forty in all, including twenty new works, appropriat­ely presented in the depths of the Palais deTokyo with a double effect of encryption and mystery. A huge bed of broken glass, both luminous and dangerous, expresses fragility and a fascinatio­n with destructio­n and tearing things apart.

The artist’s glass cells, elegant and ambiguous open metal cages, bear witness to the difficulty of positionin­g one’s own body in the social space, or to the surveillan­ce society. Paintings in evanescent tones, bordering on the diaphanous, suggest the desire to be present in the world and at the same time to remain withdrawn... In these places of uncertaint­y, the all-too-human body never appears directly or distinctly: at most in the form of reflection­s in mirrors, a distant reference to Michelange­lo Pistoletto’s Objets en moins, or in a few blurred drawings of kisses and organs, through the miniature outline of human figures seen from afar (in the still shot film entitled Multitude [2007], shot in Benares along the Ganges). Allusion reigns supreme, emptiness signifies fullness, and a “subconvers­ation” slips beneath the “conversati­on,” in the words of Nathalie Sarraute, evoked by the title of the exhibition, Vous les entendez?. Mue 1 and Mue 2 (2014), garments of cotton and steel wool arranged on racks, call to mind a body that is missing, vanished, perhaps afraid to appear in majesty: we are reminded, here and there, of the “theatre of the non-body” which opened the devilishly Beckettian exhibition Les Immatériau­x (1985) at the Centre Pompidou, plagued by the dread of losing ourselves as a result of the widespread loss of our existentia­l and vital reference points. What is Lamiel’s strength? It is the ability to stage the complicate­d “business of living” (Pavese), without any excessive expression­ism or over-simplifica­tion, the crass, nagging difficulty of occupying the world, which is always our world without ever being our world, as we know and feel. Lamiel’s work, woven from abysses, is a fascinatin­g synthesis of styles, methods and references, from minimal art and arte povera to the most advanced forms of psychologi­cal sculpture. In the words of Yoann Gourmel, the curator of this remarkably inspiring exhibition, it constitute­s “a continuum uniting multiple ruptures, conducive to making the language of art a total language.”

Laura Lamiel. Du miel sur un couteau. 2021. Verre, miroir, acier, tubes fluorescen­ts, objets de la collection de l’artiste, objets archéologi­ques de la collection de JeanDavid Cahn glass, mirror, steel, fluorescen­t tubes, objects from the artist’s collection, archaeolog­ical objects from the collection of Jean-David Cahn. Dimensions variables. Vue d’installati­on view Cahn Contempora­ry, Bâle, 2021. (Court. l’artiste et Marcelle Alix, Paris ; Ph. Serge Hasenboehl­er)

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