Art Press

Senghor et les arts. Réinventer l’universel

Musée du quai Branly / 7 février - 19 novembre 2023

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Autour du poète et homme d’État Léopold Sédar Senghor, pionnier de la « négritude », président du Sénégal de 1960 à 1980, premier Africain à siéger à l’Académie française en 1983, oeuvres et documents témoignent de la manière dont les arts africains furent compris et utilisés dans l’un de leurs pays d’origine. Ils retracent la pensée de ce critique d’art, partisan du dialogue des cultures alors que l’idée universali­ste d’art, séparant les objets d’art de leur fonction anthropolo­gique, se décline dans les encyclopéd­ies et les musées, celui du quai Branly en premier lieu. D’où l’intérêt de la mise en perspectiv­e qu’il accueille. L’Afrique fit l’objet d’appropriat­ions culturelle­s diverses : esthétique, avec le goût des artistes occidentau­x pour l’« art nègre », ethnograph­ique et photograph­ique pour documenter à l’époque coloniale l’altérité de ses peuples. Après les Indépendan­ces, les Africains ont dû réagir. Au Sénégal, Senghor l’a fait à la fois en intellectu­el et en homme d’action. En 1966 est organisé à Dakar le premier Festival mondial des arts nègres. Le Musée dynamique de Dakar expose Picasso, Soulages et d’autres. Son théâtre et son école des arts montrent l’action de Senghor en faveur de la culture au sens large, au-delà de l’affirmatio­n de la présence africaine. Parler d’universel sans revenir à la bêtise ethnocentr­ique de la domination occidental­e suppose que, quelques soient sa race ou son histoire, un artiste n’est pas que le représenta­nt d’une culture particuliè­re ou de cultures métissées. Comme le geste artistique, la pensée, essentiell­ement nomade, se méfie de toute appartenan­ce tandis que l’histoire n’est plus un grand récit au service de valeurs, elle amène des questionne­ments. Défendant le rôle de l’Afrique dans l’écriture de son histoire, l’historien sénégalais Mamadou Diouf, un des commissair­es de l’exposition, propose après Senghor, et d’après lui, de « réinventer l’universel ». Une leçon d’autant plus pertinente qu’elle nous vient d’Afrique : être l’autre de l’autre lui accorde la supériorit­é d’une perspectiv­e englobante qui se moque des opposition­s binaires. Son regard d’historien dépasse celui de l’ethnologue vu comme un moment de l’histoire : l’existence de particular­ismes doit conduire au contraire à réinventer l’universel. L’instrument­alisation politique de l’art en Afrique, comme en France avec Malraux puis Pompidou, dont Senghor fut le condiscipl­e, pose cependant problème. Le volontaris­me de Senghor promoteur de l’art africain fut critiqué en 1974 quand Issa Samb brûla ses toiles retenues pour l’exposition Art sénégalais d’aujourd’hui au Grand Palais : un art contempora­in africain contestata­ire est né avec le collectif Agit’Art. Entre engagement politique et reconnaiss­ance étatique, la place de l’art et des artistes est à redéfinir, en Afrique comme ailleurs.

Claire Margat

Works and documents around the figure of the poet and statesman Léopold Sédar Senghor, a pioneer of the “négritude” movement, the President of Senegal from 1960 to 1980, and the first African to be elected to the Académie française in 1983, bear witness to the way in which African art was understood and used in one of its countries of origin. They retrace the thinking of this art critic, a proponent of dialogue between cultures at a time when the universali­st idea of art— separating art objects from their anthropolo­gical function—was being played out in encyclopae­dias and museums, and at the Quai Branly in particular. Hence the appeal of the perspectiv­e on display. Africa has been the object of various cultural appropriat­ions: aesthetic, with Western artists’ taste for “negro art,” ethnograph­ic and photograph­ic, to document the otherness of its peoples during the colonial era. After independen­ce, Africans had to react. In Senegal, Senghor did so as both an intellectu­al and a man of action. In 1966, the first World Festival of Negro Arts was held in Dakar.The dynamic Dakar Museum exhibited works by Picasso, Soulages and others. Its theatre and art school showed Senghor’s action in favour of culture in the broadest sense, beyond the affirmatio­n of the African presence. To speak of universali­sm without reverting to the ethnocentr­ic stupidity of Western domination implies that, regardless of his race or history, an artist is not simply the representa­tive of a particular culture or cultures. Like the artistic gesture, thought, which is essentiall­y nomadic, is suspicious of any sense of belonging, and history is no longer a grand narrative in the service of values; it raises questions. Defending Africa’s role in writing its own history, the Senegalese historian Mamadou Diouf, one of the exhibition's curators, suggests that, following in Senghor’s footsteps, we should “reimagine universali­sm.” This lesson is all the more pertinent as it comes to us from Africa: being the other of the other gives him the superiorit­y of an all-encompassi­ng perspectiv­e that makes a mockery of binary opposition­s. His historical perspectiv­e goes beyond that of the ethnologis­t seen as a moment in history: on the contrary, the existence of particular­isms should lead us to reimagine universali­sm. However, the political instrument­alisation of art in Africa, as in France with Malraux and then Pompidou, a fellow student of Senghor’s, posed a problem. Senghor’s voluntaris­m as a promoter of African art was criticised in 1974 when Issa Samb burnt his paintings which had been selected for the Art sénégalais d'aujourd'hui exhibition at the Grand Palais: a contempora­ry African art protest was born with the Agit’Art collective. Between political commitment and state recognitio­n, the place of art and artists needs to be redefined, in Africa as elsewhere.

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Senghor et les arts. Vue de l’exposition
show view. À droite right tambour initiatiqu­e zoomorphe, Guinée, Baga, début du 20e siècle.
Roméo Mivekannin. Hosties noires. 2021. (Court. Galerie Cécile Fakhoury, Abidjan, Dakar, Paris)
De haut en bas from top: Senghor et les arts. Vue de l’exposition show view. À droite right tambour initiatiqu­e zoomorphe, Guinée, Baga, début du 20e siècle. Roméo Mivekannin. Hosties noires. 2021. (Court. Galerie Cécile Fakhoury, Abidjan, Dakar, Paris)

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