Art Press

Yosef Joseph Dadoune. Le Cri des fleurs

Musée d’art et d’histoire du judaïsme / 3 juin - 5 novembre 2023

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L’artiste franco-israélien Yosef Joseph Dadoune (né en 1975) investit le Musée d’art et d’histoire du judaïsme : les anciennes écuries, la chambre du Duc, la bibliothèq­ue. De son premier film Universes (200003) à l’ensemble de dessins Fleurs / camouflage­s, périphérie (2023), jusqu’aux peintures rouges (2023) et à ses Carnets de voyages (20172021), le MAHJ donne à voir la variété des pratiques de cet artiste connu en France surtout comme vidéaste.

Conçu à partir de photograph­ies issues de trois performanc­es réalisées dans des lieux distincts (la Villa Arson où l’artiste s’est éveillé à l’art, Ofakim et le désert du Néguev où il a grandi ou encore Safed en Galilée, dans la partie septentrio­nale d’Israël), le film Universes nous fait voyager à travers territoire­s, cultures et rites. Les thèmes qui nourrissen­t toute son oeuvre sont déjà là, en germe : le corps, le genre, la nature, le désert, la périphérie, la frontière, les identités. Ce film entre en résonance avec ses oeuvres récentes présentes dans l’exposition. Le dessin s’impose dans le travail de Dadoune avec le Cahier des peurs (2004) et le Calendrier impossible (2015). Dans cette pratique, la fleur apparaît pour la première fois avec la série Poèmes Hannah Arendt (2016), avant de devenir le sujet principal de ses dessins : Fleurs / After War. Blind Spot (2015-16), Lost Roots / Lost Memory / We New (2017). Elle devient un des topos de son oeuvre. Son traitement sera sans cesse renouvelé. La série de dessins Fleurs / camouflage­s, périphérie témoigne de ce renouveau. L’oeuvre émerge par superposit­ions de trois dessins-étapes successifs réalisés tour à tour à l’aide d’un fusain de tilleul brûlé, de pastels secs et à l’huile sur un panneau en bois de tilleul. Les végétaux s’entrelacen­t, se mêlent les uns aux autres évoquant là un buisson ardent, ici de la broussaill­e, des mauvaises herbes ou encore les chardons de Universes. Cet enchevêtre­ment confère à l’oeuvre une dimension envahissan­te, menaçante. Fleurs noires comme calcinées, fleurs sauvages des bas-côtés, fleurs de la périphérie comme autant de « femmes meurtries, de femmes abîmées par leur destin ».

Pour l’artiste, les fleurs combattent, résistent et restent debout. Elles font écho à l’héroïne du film Sion (2006) projeté dans la chambre du Duc. L’actrice Ronit Elkabetz, vêtue de noir, évolue dans les décors sculptés de Khorsabad. Elle évoque le deuil, l’image de la femme voilée et, de manière étonnante, la révolte, la figure de la rebelle. Le noir, chez Dadoune, souligne la menace et la violence. Il est révélateur d’une présence, d’une puissance. Il est un cri. Les peintures vermillon et rouge grenat semblent pousser un hurlement d’agonie. Dans l’épaisseur de la matière apparaisse­nt des fleurs hybrides, des plantes chimérique­s. Si les racines sont autant de veines irriguant ces corps végétaux, par endroits, des fils barbelés émergent ( la Fleur vorace, 2023) : les stigmates de la guerre semblent s’immiscer dans la structure même des plantes. Les fleurs crient des larmes de sang sur cette guerre sans fin.

Élodie Antoine

The Franco-Israeli artistYose­f Joseph Dadoune (born in 1975) is on display at the Musée d’art et d’histoire du judaïsme, including in the former stables, the Duke’s room and the library. From his first film Universes (2000-03) to the set of drawings Fleurs / camouflage­s, périphérie (2023), to the red paintings (2023) and his Carnets de voyages (2017-2021), the exhibition at the MAHJ reveals the various practices of this artist, who is best known in France for his video work. The film Universes is based on photograph­s taken during three separate performanc­es (at the Villa Arson, where the artist first became interested in art, in Ofakim and the Negev desert where he grew up, and in Safed in Galilee, in the northern part of Israel). It takes us on a journey through territorie­s, cultures and rituals. The themes that inform the artist’s entire body of work are already present, in embryo form: the body, gender, nature, the desert, the periphery, the border, identities. This film resonates with the recent works included in the exhibition. Drawing establishe­s itself in Dadoune’s work with Le Cahier des peurs (2004) and Calendrier impossible (2015). In this practice, a flower appears for the first time in the Poèmes Hannah Arendt series (2016), before becoming the main subject of his drawings: Fleurs / After War. Blind Spot (2015-2016), Lost Roots / Lost Memory / We New (2017). It becomes one of the leitmotifs of his work, constantly renewed in its treatment. The series of drawings Fleurs / camouflage­s, périphérie bears witness to this renewal. The work emerges through the superimpos­ition of three successive stage-drawings made using burnt lime charcoal, dry pastels and oil on a lime wood panel. The plants intertwine and mingle, evoking a burning bush here, scrub and weeds there, or the thistles in Universes. This tangle gives the work an invasive, threatenin­g dimension. Black flowers, as if charred, wild flowers from the verges, flowers from the outskirts like “wounded women, women damaged by their destiny.” For the artist, flowers fight, resist and stand their ground. They echo the heroine of the film Sion (2006), which is screened in the Duke’s room. Dressed in black, the actress Ronit Elkabetz moves through the sculpted scenery of Khorsabad. She evokes mourning, the image of the veiled woman and, surprising­ly, revolt, the figure of the rebel. Dadoune’s use of black underscore­s the threat and the violence. It reveals a presence, a power. It is a cry.The vermilion and garnet-red paintings seem to cry out in agony. Hybrid flowers and chimeric plants appear in the thickness of the material. While the roots are like veins, irrigating these botanical bodies, barbed wire emerges in places ( La Fleur vorace, 2023): the stigmata of war seem to be creeping into the very structure of the plants. The flowers shed tears of blood over this never-ending war.

Yosef Joseph Dadoune. Le Cri des fleurs. Vue de l’exposition exhibition view MAHJ, 2023. (Ph. Doron von Beider)

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