Jacques Donguy
Essai sur la poésie numérique ou vers un élargissement du langage Presses du réel, 332 p., 28 euros
Le dernier livre de Jacques Donguy paraît au moment même où les performances de ChatGPT plongent la foule des curieux dans une rare sidération : plus que jamais, la génération du langage par ordinateur semble infinie, au point qu’on pourrait parler de langage augmenté pour tous ses utilisateurs... Mais si, grâce au Web 2.0, est née l’écriture élargie (texte, son, image), que nous apporte ChatGPT ou même PoetGPT ? Assistons-nous à une révolution ou à une standardisation de la création ? Pour Jean-Pierre Balpe, cité par Jacques Donguy, l’IA n’est qu’« une technique très efficace », car « ce n’est pas la langue qui te porte, c’est toi qui portes la langue ». Depuis les années 1980 déjà, les procédures aléatoires permettent de viser un texte infini – et l’auteur est du reste l’un des pionniers de cette pratique. C’est dire que la question du langage se trouve au centre de cet essai : outre son élargissement, le problème de la réécriture de la grammaire, tache aveugle de la fameuse grammaire générative puisque improgrammable en l’état. Ce qui passionne le poète et poéticien, c’est bel et bien la « Machine poetry » : faisant prévaloir les créateurs sur les techniciens, contre le volumen, il défend la plasticité et la polymodalité du support numérique. Et de distinguer trois catégories de poésie numérique : la poésie concrète animée (Philippe Bootz, Augusto de Campos, Eduardo Kac) ; la poésie internet (Philippe Castellin, Philippe Boisnard) ; la poésie par génération textuelle (Jean-Pierre Balpe, Jacques Donguy). Ce livre qui propose une histoire de la poésie numérique suivie d’un riche panorama des pratiques contemporaines n’a pas d’équivalent en France : il est d’autant plus précieux qu’il revêt une dimension internationale (d’où une bibliographie de 38 pages !) et que sa présentation graphique est originale.