Jean-Claude Lebensztejn
Rafistolages Macula,184 p., 16 euros
Flickarbeit (rafistolage), est un des textes rassemblés sous le titre Rafistolages (au pluriel). Il est une digression sur Kafka qui « qualifiait fréquemment de Flickarbeit tout ce qu’il n’avait pas produit avec […] abandon, et qui d’avance était condamné à l’échec ». Écriture couturée de toutes parts par ce Flickarbeit dont le destin final n’est jamais final, dont l’organisme recousu est vivant (créature de Frankenstein). L’ensemble des écrits de Jean-Claude Lebensztejn pourrait être compilé sous cette appellation Flickarbeit propre à tout oeuvre ouvert. La notion de déplacement se balade beaucoup ici. Une histoire racontée en 1997 par Burroughs dans Last Words est identique chez Cocteau (en 1923), chez Somerset Maugham (en 1933), chez García Márquez (en 1993), chez Jacques Deval (en 1950), jusque dans une BD de Marjane Satrapi (en 2004). La source est retrouvée, bien entendu (se déplacer chez le libraire, merci). Les auteurs aussi se déplacent d’un texte à l’autre : Burroughs, Kafka, Proust, etc. Ce dernier opère à un déplacement : celui du fameux petit pan de mur jaune qui est en réalité un toit jaune – devenu pour tout le monde, et définitivement « un petit pan de mur jaune ». Tout l’oeuvre de Lebensztejn traite souvent de déplacements (mauvaise traduction du Journal de Warhol déplaçant le sens, omission de retranscriptions des mots grossiers dans certaines lettres de Cézanne déplaçant – en les lissant – les propos de ce dernier). Lebensztejn rapporte ce commentaire de Robert Smithson : « La mémoire de ce qui n’est pas vaut peut-être mieux que l’amnésie de ce qui est. » L’auteur opère à des exercices semblables à de la magie de table (ou de close up). Il vous met sous le nez quelque chose qui va se transformer en autre chose, puis réapparaître trois textes plus loin, se retourner et hop, vous n’avez rien vu.