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Frédéric Beigbeder, Confessions d’un hétérosexuel légèrement dépassé Albin Michel, 176 p., 19,90 euros
Avec ce livre, Frédéric Beigbeder ne va pas arranger son image auprès de ses ennemis. Ce n’est pas lui que mon constat va surprendre. Ne se dit-il pas la « personne la plus dingue du monde » ? Faut l’être pour, après avoir mené une vie de patachon (j’aime ce mot désuet dont seul un homme de mon âge connaît encore le sens), se retrouver pour une retraite dans un monastère augustinien sis dans les Corbières, puis aller faire le zigue dans une caserne de Fréjus, au sein du 21e RIMa, régiment d’infanterie de marine, adoubé par des culottes de peau gradées et accueilli par les « bleubites » (à qui n’a pas fait l’armée, ce mot ne dit rien : jeunes recrues). Mais, attention, son séjour chez les marsouins (terme de l’infanterie de marine), avec qui il va crapahuter, n’a en effet pas été une agréable partie de campagne. Lisez ce qu’a physiquement vécu cet homme, Frédéric Beigbeder, qui, il n’y a pas si longtemps, était encore sur la scène du Bataclan où, après avoir « beuglé », ce qu’il juge « les passages les plus nihilistes » de ses livres, il a « dansé, festoyé, rigolé et pleuré comme un pire histrion exhibitionniste ». Il n’est pas tendre avec lui-même, l’histrion. Provocation, masochisme ? Non, il a tout simplement ce qui manque a tant de besogneux de la littérature : la lucidité et surtout, surtout, la grande, la précieuse, la capitale, la vitale qualité : l’humour. Ce qui m’autorise, en tout cas, concernant sa compagnie des moines, puis des soldats, à titrer ma chronique : le sabre et le goupillon. Et quand après avoir désigné l’aspersoir d’eau bénite, je parle de sabre, il s’agit en l’occurrence du pistolet 9 mm Glock 17, du flingue HK 416, calibre 5,56 mm.
FICHUS DÉPRAVÉS
Militariste et catho, à deux de ses crimes parmi tous ses vices, ses tares, ses fautes aux yeux de la doxa puritano-progressiste des Woke et autres adeptes de la cancel culture et théories du genre, il convient d’ajouter fils de bourgeois, alcoolique, drogué, défenseur des prostituées et de la pornographie, signataire du manifeste des « 343 salauds », écrivain médiatique suspect de complotisme pour n’avoir pas applaudi au confinement, au couvre-feu lors de la pandémie du Covid-19, obsédé par le sexe, par l’existence des femmes, et délit, forfait, tache, souillure, péché, sacrilège irrémissibles : être né hétérosexuel blanc, et en plus décomplexé. Faut-il rappeler, sans écraser son nom sous celui d’Augustin, du grand saint Augustin, auteur de célèbres Confessions, que la plupart des grands saints ont été, avant leur conversion au christianisme, de fichus dépravés, Augustin ne fut pas le moindre. Relisons le récit de l’archevêque de Gênes, Jacques de Voragine, la Légende dorée (1261-1266), on verra que Frédéric Beigbeder n’a rien à envier à ces saints pour ce qui est des débauches.
UNE BANDE DE FANATIQUES
Mais venons-en aux premières pages du livre, en vérité son noyau dur, ce réel contre quoi on se cogne, selon Lacan. Avant que Beigbeder ne nous fasse le récit de ses fautes et de ses contritions, il commence par relater un dialogue avec une jeune enfant de trois ans, Oona, sa fille. « Papa, pourquoi ils ont fait ça ? » Dans la dédicace de son livre, à Catherine et moi, Beigbeder nous annonçait des confessions qui allaient nous « distraire ». Le connaissant, nous n’attendions pas autre chose de lui. Hélas ! À la lecture des trente premières pages de son livre nous déchantions. Pas du tout distrayant son récit, inquiétant oui, sacrément accablant. C’est quoi ce « ça » dont parle sa petite gamine ? Ce « ça », c’est l’intrusion de nuit dans son domicile basque d’une bande de fanatiques qui ont couvert sa maison et sa voiture de peinture acrylique. Ces intrus ont enjambé le portail, traversé la pelouse pour bomber les murs d’insultes : « Salaud », « Ici vit un violeur ». Aucun respect pour la bouée en forme de dauphin et la poussette de son enfant. C’est ce vandalisme de hors-la-loi qui est à l’origine des confessions de l’hétérosexuel mâle qui, mezza voce, avec son sens de la litote, ne se dit que « légèrement dépassé ». Il l’est, pas au point cependant de ne pas juger ses agresseurs nocturnes pour ce qu’ils sont, des « gardes rouges » redivivus que sa fille avait jugés avec ses mots à elle, d’une précoce et grande justesse : « C’est des méchants. » N’était-ce pas la question du mal qui, d’entrée, s’imposait ainsi à son père ? D’où son développement bienvenu sur la fonction de la littérature dans cette affaire de l’existence du mal.
PAS DE SAINT FRÉDÉRIC
Je n’ai pas la place ici pour rendre compte du dur combat mené par Beigbeder afin de vaincre son addiction à la cocaïne, ni du récit de ses stages chez les moines de Lagrasse et les militaires de Fréjus, deux beaux morceaux de bravoure. Enfin sauvé, le pénitent avec l’aveu de ses frasques et les avoir payées de son corps ? Pas vraiment. Il y a des rechutes. D’où pas de saint Frédéric à l’horizon, la béatification n’est pas à ce jour au programme. L’espoir d’un sauvetage néanmoins se manifeste quelque temps plus tard, par le recours au mariage. Ce qui nous vaut quelques pages inattendues sur les vertus de ce sacrement, sur l’amour, sur la seule addiction qui résiste, le sexe. Une bénédiction, une malédiction pour l’humain qui en est la proie ? Les deux, mon capitaine. C’est pour cette raison que la littérature et l’art, qui ne parlent que de ça, ont encore un long avenir devant eux.