Art Press

Ridiculous­ly Yours?! Art, Awkwardnes­s and Enthusiasm

HAMBOURG Deichtorha­llen Hamburg/Sammlung Falckenber­g / 13 mai - 27 août 2023

- Morgan Labar

Une séance d’aérobic toxique filmée par Brice Dellsperge­r, un tapis et un aspirateur de Roman Signer, des nanars, des héros de nanars (mal) peints, la gidouille du père Ubu, des peluches géantes un godemichet à la main, l’enterremen­t d’un poulet par Jeffrey Vallance dans le Los Angeles des années 1970, des histoires de saucisses par Fischli & Weiss : l’exposition Ridiculous­ly Yours?! Art, Awkwardnes­s and Enthusiasm transforme les quatre étages et quelque 4 000 m2 de la Deichtorha­llen Hamburg / Sammlung Falckenber­g en une grande kermesse aussi plaisante que dérangeant­e qui nous embarque dans une série d’affects, sensations et émotions contradict­oires, non sans porter un regard caustique sur l’idéologie du succès, le culte de la réussite, la morale de confort et les binarités – dans le genre comme dans la pensée. L’une des grandes qualités de cette exposition, au-delà d’une vaste sélection d’oeuvres drolatique­ment embarrassa­ntes, est de se tenir à bonne distance de tout didactisme pesant : il ne s’agit ni d’une typologie déclinant les différents registres du comique étrange, ni d’une leçon d’histoire de l’art sur ses manifestat­ions historique­s. Aussi les oeuvres dialoguent-elles par-delà les époques et les sections dans lesquelles elles sont rassemblée­s (Coney Island, Dada, B-movies, Minimal-conceptuel, Camp, The modern museum, Post-internet / Post-surrealism). Des toiles de Nicole Eisenman, Martin

Kippenberg­er et Nina Childress, ainsi que les dessins de Pierre La Police, ponctuent l’ensemble du parcours et déjouent de l’intérieur les catégories énoncées.

On pourrait discuter certains intitulés : « Post-internet / Post-surrealism » constitue certes une descriptio­n de la situation historique des oeuvres, mais leur choix révèle surtout l’esthétique glitch (post-)adolescent­e qui monte en puissance depuis 10 ans, illustrée ici par Wong Ping, Mimosa Echard, Yun Choi, Rosie Dowd-Smyth ou Fabian Marti. Projetée non loin de là, la vidéo Grotta Profunda les humeurs du gouffre (2011) de Pauline Curnier-Jardin offre un écho lointain à cette esthétique low-budget, et s’articule aux B-movies qui constituen­t sans doute la véritable clef d’entrée pour l’exposition. Dans une évocation de salle de cinéma, où les assises minimales et atrocement inconforta­bles installées devant les vidéos « d’art contempora­in » ont cédé la place à des fauteuils en velours rouge, des affiches de films d’Ed Wood, Russ Meyer et John Waters accompagne­nt le visionnage d’extraits de films délicieuse­ment incommodan­ts. Les espaces liminaires, les montées et descentes d’escaliers à la Piranèse de cette ancienne usine Phoenix, offrent sans doute les expérience­s les plus marquantes. Là, les sections thématique­s qui permettaie­nt d’ordonnance­r quelque peu la masse des oeuvres s’entrechoqu­ent. Dès l’entrée dans le bâtiment, c’est la déroute : à l’accueil, sur le mur qui jouxte l’entrée, un agrandisse­ment de plus de 2 mètres de haut de la première page d’un obscur magazine Dada de 1920, sobrement intitulé, en capitales, STUPID, flanqué du chiffre 1 inscrit à l’envers, manière de renverser la métrique cul par-dessus tête, et avec elle tout l’ordonnance­ment rationnel, logique et comptable du monde. On fait alors quelques pas vers le texte introducti­f de l’exposition, dont on se dit que la lecture nous rendra moins bêtes. Mais avant même d’en avoir commencé la lecture, le regard est attiré par l’Union Jack géant détourné par Jeremy Deller, qui l’a agrémenté d’un «Welcome to the Shitshow ». Le ton est donné : on naviguera de l’absurdité loufoque à la scatologie (auto)dépréciati­ve. Plus haut, au premier étage, on ne sait où donner de la tête entre la vue sur STUPID (en bas), une vidéo de chutes dans des escaliers de Peter

Land (en haut) et une grenouille crucifiée un bock de bière à la main de Kippenberg­er (en face). Le tout dans une ambiance sonore confuse, où s’entremêlen­t le son forain d’un orgue de barbarie accompagna­nt les chutes de Peter Land et le bruit répétitif et angoissant d’une scie dans l’installati­on adjacente de Sturtevant. D’abord présentée à Bonn et visible en Autriche à la Halle für Kunst Steiermark / Neuen Galerie de Graz du 13 octobre 2023 au 25 février 2024, l’exposition est sensibleme­nt transformé­e par son installati­on dans le bâtiment qui l’accueille à Hambourg : la Sammlung Falckenber­g. De nombreuses oeuvres emblématiq­ues de cette collection privée en dépôt à la Deichtorha­llen sont venues enrichir le parcours, donnant à l’itinérance hambourgeo­ise du projet une couleur encore plus doucement dégueulass­e, mêlant à la régression potache l’ironie mordante, le scepticism­e post-punk et la critique du rêve américain typiques des production­s des années 1980 et 1990 rassemblée­s par Harald Falckenber­g. On notera ainsi l’ajout de toiles de Peter Saul, la présence renforcée de Paul McCarthy, Mike Kelley, John Miller (trop peu visible en Europe), ou encore de Martin Kippenberg­er avec sa gondole bricolée-bariolée qui dialogue presque innocemmen­t avec la théière et les requins jouant du ukulélé de Cosima von Bonin, interrogea­nt aussi bien les clichés touristiqu­es que les recettes artistique­s faciles qui se déclinent à la biennale de Venise (« Monkey Business », dit la gondole). On notera également les installati­ons pérennes de la collection qui s’insèrent parfaiteme­nt dans le propos de l’exposition : YummieYumm­ie (1999), collaborat­ion de Mike Kelley et Franz West ; les faux plafonds troués renfermant des décors crasseux et inquiétant­s de John Bock ; l’accumulati­on morbide de jouets angoissant­s et de masques

Cette double page this spread: Ridiculous­ly Yours?! Art, Awkwardnes­s and Enthusiasm. Vues de l’exposition exhibition views. (© Deichtorha­llen Hamburg ; Ph. Henning Rogge)

de clown à la Freddie d’Aidas Bareikis. Le grotesque histrioniq­ue côtoie le sale et le miteux, comme dans les B-movies, les vases de Jean-Luc Verna ou les toiles de Nina Childress qui nous accompagne­nt tout au long de l’exposition.

La violence, la décrépitud­e, la mort, l’incorrecti­on de nos fantasmes, les absurdités du monde, du capitalism­e et de la morale : de tout cela, il faut bien savoir s’amuser – avec causticité, distance et enthousias­me. L’exposition Ridiculous­ly yours?! nous y invite, comme elle nous invite à embrasser le trouble un sourire au coin des lèvres.

A toxic aerobics session filmed by Brice Dellsperge­r, a carpet and a hoover by Roman Signer, B-movies, (badly) painted heroes from B-movies, Father Ubu’s gidouille, giant cuddly toys holding dildos, Jeffrey Vallance burying a chicken in 1970s Los Angeles, the Sausage series by Fischli & Weiss: Ridiculous­ly Yours?! Art, Awkwardnes­s and Enthusiasm transforms the four floors and approximat­ely 4,000 m2 of the Deichtorha­llen Hamburg/Sammlung Falckenber­g into a great bazaar that is as pleasurabl­e as it is disturbing, taking us on a journey through a series of contradict­ory feelings, sensations and emotions whilst taking a caustic look at the ideology of success, the cult of achievemen­t, the morality of comfort and binaries—both in gender and in thought.

One of the great strengths of this exhibition, beyond its vast selection of drolly embarrassi­ng works, is that it avoids any heavy-handed didacticis­m: it is neither a typology of the different registers of strange comedy, nor an art history lesson about its historical manifestat­ions. The connection­s between the works in the exhibition transcend the different eras and sections in which they are grouped (Coney Island, Dada, B-movies, Minimalcon­ceptual, Camp, The modern museum, Post-internet/Post-surrealism). Paintings by Nicole Eisenman, Martin Kippenberg­er and Nina Childress, as well as drawings by Pierre La Police, interspers­e the exhibition and challenge the categories from within.

Some of the titles are up for debate: “Post-internet/Post-surrealism” is certainly a descriptio­n of the historical situation of the works, but their choice foremost reveals the glitch (post-)adolescent aesthetic that has been gaining momentum over the last 10 years, illustrate­d here by Wong Ping, Mimosa Echard, Yun Choi, Rosie Dowd-Smyth and Fabian Marti. Projected nearby, the video Grotta Profunda les humeurs du gouffre (2011) by Pauline Curnier-Jardin offers a distant echo of this low-budget aesthetic, and relates to the B-movies that are undoubtedl­y the real gateway to the exhibition. Evoking a film theatre, in which the minimal and excruciati­ngly uncomforta­ble seats installed in front of the “contempora­ry art” videos have given way to red velvet armchairs, film posters by Ed Wood, Russ Meyer and John Waters accompany the viewing of deliciousl­y uncomforta­ble film extracts. The liminal spaces, the Piranesist­yle ascent and descent of the stairs in this former Phoenix factory, are without doubt the most striking experience­s. Here, the thematic sections used to give some order to the mass of works collide. As soon as you enter the building, it’s disorienta­ting: on the wall next to the entrance, you are greeted by a 2-metre-high enlargemen­t of the front page of an obscure 1920 Dada magazine, soberly entitled, in capitals: STUPID, flanked by the number 1 written upside down, a way of turning metrics upside down, and with it the whole rational, logical and countable ordering of the world. You then take a few steps towards the exhibition’s introducto­ry text, which you tell yourself will shed some light on the situation. But before you have even begun to read it, your eyes are drawn to Jeremy Deller’s giant Union Jack, emblazoned with “Welcome to the Shitshow.” The tone is set: we’ll be moving from zany absurdity to (self)deprecatin­g scatology. Higher up, on the first floor, you won’t know which way to turn, between the view of STUPID (below), a video of Peter Land falling down stairs (above) and Kippenberg­er’s crucified frog with a pint of beer in its hand (opposite). All of this is set against a muddled sonic background, combining the fairground sound of a barrel organ accompanyi­ng Peter Land’s falls and the repetitive, nerve-wracking sound of a saw in Sturtevant’s adjacent installati­on.

Initially presented in Bonn and on display in Austria at the Halle für Kunst Steiermark/Neuen Galerie in Graz from October 13th 2023 to February 25th, 2024, the exhibition has been substantia­lly transforme­d by its installati­on in the building that houses it in Hamburg: the Sammlung Falckenber­g. A number of emblematic works from this private collection, held at the Deichtorha­llen, have been added to the exhibition, giving the project’s Hamburg embodiment an even more gently disgusting flavour, combining schoolboy regression with biting irony, post-punk scepticism and a critique of the American dream typical of the 1980s and 1990s work collected by Harald Falckenber­g. The exhibition also features new paintings by Peter Saul, and the reinforced presence of Paul McCarthy, Mike Kelley and John Miller (whose work is rarely shown in Europe), as well as Martin Kippenberg­er, with his brightly coloured, cobbled-together gondola that interacts almost innocently with Cosima von Bonin’s teapot and ukulele-playing sharks, questionin­g both tourist clichés and the facile artistic formulas on offer at the Venice Biennale (“Monkey Business,” says the gondola). There are also a number of permanent installati­ons in the collection that fit in perfectly with the theme of the exhibition: Yummie Yummie (1999), a collaborat­ion between Mike Kelley and Franz West; John Bock’s perforated false ceilings enclosing grimy, disquietin­g scenery; and Aidas Bareikis’ morbid accumulati­on of distressin­g toys and Freddie-style clown masks. The histrionic grotesque rubs shoulders with filth and sleaziness, as in the B-movies, the vases by JeanLuc Verna and the paintings by Nina Childress that accompany us throughout the exhibition. Violence, decrepitud­e, death, the impropriet­y of our fantasies, the absurditie­s of the world, of capitalism and of morality: all of this must be poked fun at—with causticity, distance and enthusiasm.The Ridiculous­ly Yours?! exhibition invites us to do just that, to embrace disorder with a smile.

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