Art Press

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- Vincent Roy

Francis Ponge, Philippe Sollers, Correspond­ance 1957-1982 Gallimard, 503 p., 32 euros

De 1957 à 1982, Francis Ponge et Philippe Sollers ont échangé près de 300 lettres. Leur Correspond­ance offre un témoignage de premier ordre sur une pratique littéraire et revuiste en pleine transforma­tion. Des bouleverse­ments éditoriaux dont ils seront les acteurs.

n En mars 1957, Philippe Joyaux n’est pas encore Philippe Sollers, disparu le 5 mai dernier. Il a 20 ans et déjà une solide culture littéraire et philosophi­que. Voilà qu’il se rend, boulevard Raspail, à Paris, à l’Alliance française afin d’écouter l’auteur de Proêmes (1948) enseigner la langue et la littératur­e françaises à des étrangers. Une longue amitié naît, tissée d’admiration, filée de respect. En juin 1966, Sollers écrira à son aîné : « Je pense à vous comme au seul ami que j’ai, au point où l’amitié se fait parenté. » 38 ans séparent les deux hommes mais un certain « esprit de la littératur­e », absolument dégagé d’un quelconque idéalisme poétique, les rassemble : complicité immédiate, proximité automatiqu­e. Parce que c’était Ponge, parce que c’était Joyaux (un an plus tard, Sollers), parce que surtout une poétique leur est commune d’emblée. Une seule visée : la matérialit­é de la langue. Transforme­r la littératur­e et ses pratiques ! Bousculer le « bordel mondano-littéraire ». Et il y a du travail.

Ce qui frappe, d’abord, dans cette Correspond­ance 1957-1982, magnifique­ment éditée par Didier Alexandre et Pauline Flepp et augmentée d’extraits éclairants des carnets de Ponge (ses agendas), c’est la maturité du jeune Sollers. Écoutez plutôt (il n’a pas 21 ans) : « Il me faut encore écrire (me débarrasse­r de) bien des propos subjectifs. Il y a là une sorte d’obligation. Mais j’essaierai de le faire en allant le plus possible aux choses (et leur dignité). Les grandes révolution­s […] sont toujours d’une effarante simplicité. » Le 30 juin 1957, il écrit au poète : « Je crois que c’est cela qu’il importe de vous dire : grâce à vous, on y voit mieux. (Et, bien sûr, il s’agit aussi de l’ouïe, du goût, du toucher, de l’odorat) [...] je crois très profondéme­nt, comme vous (n’en soyez pas offusqué), qu’il faut “donner à jouir à l’esprit humain”. Cela est même de première urgence. » Et, un an plus tard, exactement jour pour jour (c’est symétrique dans le temps et la pensée) : « Vos livres, il me semble que je suis qualifié pour eux. Dans ce petit monde où rien n’est sûr, où l’esprit est tenté de s’armer contre lui-même, où la raison trouve mille raisons pour l’empêcher, vous définissez, vous donnez le goût de la plus pure direction. » Ce « petit monde », c’est celui de l’édition et des revues. La NRF est une « vieille carne » dirigée par un Paulhan guindé, et Gallimard n’est pas encore, pour Sollers, « la banque centrale » – l’Infini, ce sera pour plus tard… quand l’essentiel aura été fait.

ESPACE DE LIBERTÉ ET DE COMBAT

Francis Ponge est amer à l’endroit du milieu éditorial parisien, ces « concierges de la littératur­e » : au vrai, il ne trouve pas sa place, celle où « faire valoir son importance ». Il n’est pas question de « politique littéraire » mais bien de sécession. S’agit-il de créer un nouvel espace pour s’exprimer ? Pour la liberté ? Pour le combat ? Sollers s’en charge : ce sera Tel Quel. Au Seuil. Oui, au seuil d’une aventure captivante dans laquelle seront bientôt embarqués, dans le désordre d’apparition­s, Bataille, Pleynet, Barthes, Kristeva, Henric… À l’abordage… Cette liste n’est pas exhaustive, loin s’en faut !

Tel Quel est une aventure en ceci que la revue réinvente « un mode de pensée » comme l’écrit Pleynet à Ponge en 1964 : «Tout cela bien sûr se réduit finalement à savoir comment, devant ce qu’on peut appeler le brouillage du sens, faire une revue qui soit à la fois dynamique et “réfléchie”… [...] à la limite la revue devrait “faire du paradoxe une opinion commune”.»

Ponge et Sollers sont des réfractair­es. Ils vont se tenir les coudes. Du moins jusqu’en 1968, quand la politique les rattrape pour les opposer, mais pas seulement. Qu’importe, cette Correspond­ance est un magnifique voyage dans une vie littéraire qui n’a plus, hélas, d’équivalent.

Mais revenons au point de départ : les deux amis sont convaincus que non seulement ils doivent « former leur oeuvre » (expression de Ponge), mais encore leurs lecteurs, ceux qui vont la lire – autrement formulé « créer leur école » et l’imposer : la créer contre ! Contre Sartre, contre les Cahiers du Sud, contre la NRF. Cap sur la « littératur­e pure ».

On peut gloser sur les désaccords politiques de Sollers et Ponge. Chacun a sa version. Il est plus intéressan­t de s’intéresser à l’année 1965 quand, en même temps, paraît Pour un Malherbe et, dans le numéro 23 de Tel Quel, « Dante et la traversée de l’écriture ». Malherbe existe pour Sollers, Dante n’existe pas pour Ponge : « Raisons apparemmen­t politiques, mais en réalité littéraire­s. » « Le fantasme linguistiq­ue de la francité » de Pour un Malherbe est étranger à Sollers, son nationalis­me en particulie­r. Pas de politique de la langue ! Le 14 juin 1966, il écrira à Ponge au sujet de la Chine qui commence de le captiver (Ponge restera muet sur ce point) : « Il s’agit au fond de la grippe de toute la culture occidental­e sur un organisme tout autre ». Il n’est pas question, pour Sollers, de lier la langue et la nation. n

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De haut en bas : Francis Ponge (Ph. André Bonin). Philippe Sollers. (Ph. Ulf Andersen)

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