Christophe Esnault
Pas même le boucher AEthalidès, « Freaks », 72 p., 16 euros
Second volume publié par Christophe Esnault chez AEthalidès (après Lettre au recours chimique, 2021), Pas même le boucher se présente comme un long poème d’inspiration autobiographique, dans la lignée de l’Enfant poisson chat (2020). Sauf qu’il n’est pas question de pêche ici, mais bien des difficultés propres à l’enfance, puis à l’adolescence. Rejeté partout, y compris par le boucher chez lequel il devait effectuer un stage, le presque quinquagénaire revient sur les frustrations de la jeunesse. De même qu’il existe des romans de formation, on devrait ici parler de poésie de formation. L’apprentissage débute par un douloureux rapport à l’institution scolaire, entre bagarres, mauvaises notes, puis exclusion, placement dans un foyer éducatif d’Angers, où notre héros fumera des joints tout en nourrissant quelques ambitions littéraires. Ensuite ? Eh bien, la vie adulte, « déconnade permanente », faite de déceptions amoureuses, de petits boulots, avant de trouver une certaine stabilité matérielle. Seule l’écriture, « l’espace/[...] où tu peux te mouvoir et être mu », semble offrir une alternative solide aux tentations suicidaires. Cette écriture, elle se déploie sur la page sous forme de vers libres, narratifs, lisibles, au rebours de toute abstraction. Parfois léger, souvent rageur, l’auteur y conspue une société libérale dans laquelle il ne se reconnaît pas, tout en se méfiant des « anarchistes » et autres « autonomes », ces derniers reproduisant les mêmes tares, les mêmes schémas. Le trivial côtoie ainsi de riches images, avec un sens inné du décalage. Évoquons aussi « l’hilarité confite », propre à Esnault, sorte d’auto-dérision permanente, riche d’une amertume savamment dosée. Mélancolique, acerbe, mais sensible aussi, drôle et parfois lyrique, Pas même le boucher s’impose comme un livre original, sans concession.