F. De March, J.-P. Dumond (dir.)
Un regard critique sur la gestion avec l’oeil de Georges Bataille Ems, 352 p., 29 euros
Quel lien établir entre la pensée de Georges Bataille et les Critical Management Studies, entre l’auteur de l’Érotisme (1957) et les sciences de gestion ? En apparence aucun si ce n’est, comme le suggère un numéro spécial de artpress2 paru en 2016, qu’il est beaucoup plus périlleux d’interroger « la valeur d’usage » de Bataille que de le mythifier. Tel est le point de départ d’un colloque qui s’est tenu en 2022 à l’Institut d’administration des entreprises Gustave Eiffel de l’université Paris-Est Créteil dont rend compte l’ouvrage collectif Un regard critique sur la gestion avec l’oeil de Georges Bataille. Dans des contributions inévitablement inégales, la pensée économique de l’auteur de la Part maudite (1949) est passée au peigne fin ; Bataille ayant toujours envisagé d’établir les principes d’une « économie générale ». La notion même de « dépense improductive » ne peut d’ailleurs se comprendre qu’en régime capitaliste dans lequel l’accumulation fait office de mantra. À l’opposé d’une philosophie qui « [réduirait] tout au pensable », comme l’explicite Élisabeth Roudinesco, Bataille défend une « science de l’inassimilable, de l’irrécupérable, des déchets ou des “restes” » qu’il nomme « hétérologie ». Les contributions les plus intéressantes mettent ainsi en avant une « critique anthropologique et épistémologique des sciences de gestion » à partir des notions de « sacrifice » ou de « souveraineté ». François De March s’interroge avec justesse sur la dimension sacrificielle des suicides au travail, quand Cédric Mong-Hy encourage dans un texte inspiré, « Le bétail cyborg et l’acéphale », à inventer de nouvelles formes de pirateries anarchistes ; à l’image de cet être « acéphale » dépourvu de chef qui donna son titre à une revue éphémère créée en son temps par Bataille.