Ludovic Degroote
Le Début des pieds, suivi de Ventre Unes, 144 p., 21 euros
Saluons l’initiative des éditions Unes qui republient, augmenté d’un inédit, le Début des pieds. Ensemble un peu à part dans la production de Ludovic Degroote – auteur d’une quinzaine d’ouvrages et de nombreux livres d’artistes –, ce volume interroge ce que peut dire la poésie. On peut entendre dans le titre une allusion à l’unité de base du vers (les « pieds » de la métrique) et il est vrai que certaines assertions jouent manifestement sur cette ambiguïté mais Degroote insiste : « […] les pieds sont les pieds. » Car c’est de sa volonté de décrasser le genre de ses derniers relents d’idéalisme dont il s’agit ici. Et c’est le corps, le corps social certes, mais surtout le corps physique dans toute son épaisseur, le corps qui va mal, la boulimie, les vergetures, les vomissements, qui est à ses yeux le sujet essentiel de ce que d’aucuns appellent encore la poésie. Séparé des autres, entouré dès sa naissance par ses morts, l’homme n’a guère que ses pieds pour marcher, chuter, c’est-àdire être. Ces pieds sont alors montrés dans toute leur crudité, voire dans leur obscénité, car ils touchent au sol, à la saleté, et, l’écrivain le rappelle, la vie souvent nous casse les pieds (d’où la difficulté d’hériter de la tradition poétique, aux pieds trop souvent ailés). Pourtant le propos évite le pathos : des allusions à Tintin ou des considérations aussi abruptes que comiques concernant les déboires et les espoirs des personnages de Plus belle la vie émaillent étonnamment le texte. Et l’auteur parvient parfaitement à intégrer cette « culture basse », à son propos général sur la vacuité de nos existences. Ventre, ensuite, poursuit sur cette lancée. Il s’agit là aussi de signifier une intériorité intestinale renvoyant à l’état général du corps et, au bout du compte, de rappeler le devenir farce de notre chair hachée, broyée pour être mélangée au monde.