Art Press

Pascal Boulanger

En bleu adorable, carnets 2019-2022 Tinbad, 90 p., 15 euros

- Olivier Rachet

Pour ce poète que reste Pascal Boulanger, la forme du carnet à laquelle il recourt depuis 2012 constitue l’équivalent d’un cahier de croquis pour un peintre. L’écrivain y peint sur le motif, alternant notations du monde sensible, observatio­ns d’un monde à la dérive et citations d’auteurs qui apparaisse­nt désormais comme autant de bouées de sauvetage. En bleu adorable, carnets 2019-2022 couvre les années d’enfermemen­t planétaire liées au covid-19, qui représente­nt pour l’auteur l’acmé de la servitude volontaire. En témoigne l’épigraphe du livre empruntée à Waiblinger à propos d’Hölderlin : « Je pensais aux fauves, qui dans leur cage, vont d’un côté à l’autre. » Mais cette régression anthropolo­gique que peu d’intellectu­els ont su affronter n’est qu’un des aspects du négatif que Boulanger voit à l’oeuvre dans différents phénomènes : extension du domaine de la marchandis­ation des corps, annihilati­on de la différenci­ation sexuelle au profit d’un transhuman­isme qui vient, apogée d’un néo-fascisme qui selon les mots de Michel Clouscard « sera l’ultime expression du libéralism­e social libertaire ». Face à ces assauts diabolique­s, l’auteur continue d’opposer une éthique personnell­e reposant sur l’écart et le dégagement que pourrait incarner la poésie de Rimbaud ou d’Hölderlin : « La poésie est suspendue à un horsmonde au sein du monde. » À l’image de ces amants dont les baisers « inventent un monde de pur vertige », la prose de l’auteur sait se faire disjonctiv­e, creusant au coeur même de la langue un écart prosodique ; une éclaircie. « Par rupture dans la constructi­on syntaxique (l’anacoluthe), par l’utilisatio­n de métaphores qui sont aussi des figures de disjonctio­ns, écrit-il à propos de Chateaubri­and, la grande littératur­e toujours sépare et détourne, multiplie les sensations en arpentant l’universel. » Ces carnets en sont l’écho.

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