LIONEL FONDEVILLE EN PLEIN DANS TOUT
Lionel Fondeville, Au milieu de la figure Æthalidès, 176 p., 26 euros
Lionel Fondeville s’est fait connaître comme compositeur du projet musical Le Manque avec son comparse Christophe Esnault, avec lequel il a coécrit un recueil de nouvelles à quatre mains, Mollo sur la win. Mais c’est dans l’essai qu’il excelle, déjà avec la Péremption (2021), et maintenant avec ce nouvel objet littéraire non identifié, Au milieu de la figure. Le titre annonce la couleur : il sera question de figures, c’est-à-dire de figuration, dans ce livre où l’image-entraîneuse transporte le texte-vaurien. Pour chacun des treize textes qui le composent, c’est une image, impeccablement reproduite, qui lance la réflexion de l’auteur, puis son écriture qui semble s’engendrer d’ellemême jusqu’au vertige parfois, façon kabbale : « L’efficacité de ce mur. Préfabriqué, coulé, armé, monté en une journée, fiché en terre dans un fossé presque romain. Pas de mur sans mort. Mort liée à ce mur, engendrée par, causée, fabriquée, réalisée » (divagant à partir d’une photographie d’un transformateur électrique protégé de forts murs). Fondeville, comme et après Roland Barthes, est maître en analyse figurale d’une photographie : « Masse tellurique devenant vaporeuse par la manipulation technique, la lumière doublement projetée à travers le négatif sur le papier sensible, avec le ballet des caches, des mains au-dessus du support en latence, pour aboutir, après bains, à l’image voulue, désirée, rêvée » (écrivant sur un portrait photographique double par surimpression de Rodtchenko par Petroussov). Comme le Godard des années 1980, Fondeville sait qu’il faut désormais ralentir : quoi de moins attendue, et rêvée, qu’une prise de vue avec un iPhone, visionnée immédiatement, puis jamais re-regardée ensuite ? « Que nous est-il encore permis de connaître dans le déferlement numérique quotidien ? », annonce la quatrième de couverture. Mais c’est avec le texte qui ouvre ce recueil, réflexion historique straubienne à partir du célèbre tableau de David de 1799, les Sabines, que Fondeville en arrive à l’historialité pure : que peut nous dire une image de notre histoire, et partant de nousmêmes ? Bien que nous ne goûtions guère ce peintre ayant collaboré à la Terreur, l’analyse de Fondeville est si remarquable que nous songeons déjà à aller revoir ce tableau au Louvre, tant il semble emblématique de toute peinture d’histoire comme éternel retour : « Dans cette scène, les Sabines protègent leurs ravisseurs, qui les ont ravies, qu’elles ont fini par trouver ravissants. Syndrome de Stockholm ? Ou bien furent-elles séduites par ces hors-la-loi sans unité ? Non. Violées, comme toujours. » Qui pourrait dire que cela ne se passe pas aujourd’hui ? Fondeville explique les relations inouïes entre les figures et les plans de ce tableau si riche. « Hersilie intervient, s’interpose, déchire la cohue. Elle est le ciel bleu crevant les nuages. Blonde, vêtue de blanc, tête baissée. Pure. Corps-mémoire, elle porte le cestos grec, ceinture soutenant les seins, ornement érotique. Impure. » Mais il y a plus. Avec ses bras allongés exagérément, « elle veut sortir de son corps pour toucher les corps et les âmes des ennemis » ; ce faisant, elle éteint l’incendie guerrier, se fraie un chemin vers le premier plan, puis finit par se jeter dans nos bras de spectateurs émus : « Par ces effleurements, Hersilie propose une autre sexualité, une autre forme de débat. »