J. Littell, A. d’Agata
Un endroit inconvénient Gallimard, 352 p., 21 euros
La littérature engagée est particulièrement difficile de nos jours, où la bonne conscience peut se confondre avec le narcissisme. Ce n’est pas le cas d’Un endroit inconvénient – au titre grammaticalement bancal. Le livre, un reportage à deux « voix » sur le terrain, à Kyïv et dans sa banlieue, rend justice à l’histoire ukrainienne, où la guerre actuelle n’est que le fruit de la perpétuelle violence exercée par la Russie, à qui la « mystérieuse âme russe » sert de paravent spirituel. Certaines photographies d’Antoine d’Agata peuvent renvoyer à ce que Susan Sontag, après Roland Barthes, dans son livre Sur la photographie, écrivait au sujet des photographies de guerre, à savoir la désensibilisation à l’horreur – ce qui est encore plus juste à l’époque d’Instagram et de Tiktok, qui jouent un rôle grandissant dans les conflits. Les photographies des soldats aux mains sales, des ruines et des lieux qui ont servi de salles de tortures sont remarquables. En revanche, celles des massacres russes à Boutcha sont insupportables pour l’Ukrainienne que je suis. Ces photographies s’ajoutent aux images d’archive de la Seconde Guerre mondiale – l’ouvrage a été publié avec l’aide du Centre de commémoration de l’Holocauste de Babi Yar ; le projet initial de Jonathan Littell était une enquête sur les massacres des juifs en 1941 en Ukraine. Un des mérites de son texte est la transcription ukrainienne des noms et des lieux, que la presse française, dans son ensemble, continue d’ignorer depuis la chute de l’Empire soviétique (notamment Kiev au lieu de Kyïv, toujours transcrit à la russe dans le Monde, où Littell donne des reportages réguliers sur l’Ukraine). Pour un lecteur occidental qui chercherait à faire une tendancieuse « part des choses » sur les causes de l’invasion russe, ce livre montre bien qu’il n’y a là que du noir.