Nicolas Ballet
Shock Factory. Culture visuelle des musiques industrielles (1969-1995) Les Presses du réel, 456 p., 32 euros
Richement documenté, l’ouvrage de Nicolas Ballet se penche sur un pan majeur de la contre-culture des années 1980-90, dans le sillage du mouvement punk. La dénomination de « musique industrielle » recouvre un large spectre auquel sont associées des formations bruitistes et performatives, notoirement Throbbing Gristle (qui lui a donné naissance), Cabaret Voltaire et Test Dept au Royaume-Uni, D.A.F. et Einstürzende Neubauten en Allemagne, NON et Z’EV aux États-Unis, Étant Donnés, NOX et Le Syndicat en France… Comme le démontre cette somme érudite, ces artistes se positionnent esthétiquement en récipiendaires des avant-gardes – du futurisme à l’actionnisme viennois via Dada, Fluxus et le situationnisme. Le titre en dit long sur leur volonté d’instaurer un régime d’images qui régurgite la violence de la société contemporaine pour mieux l’exorciser : un Théâtre de la cruauté et une Foire aux atrocités (pour reprendre Artaud et J.G. Ballard) où la recherche de « sensations fortes » se substitue au simulacre de vie que promeut la société de consommation, normative et coercitive derrière ses promesses de liberté. Ballet met l’accent sur l’esprit de transgression qui l’anime, en procédant par des tactiques de détournements – des images comme du langage – et de choc frontal avec tout ce que la société occidentale met sous le tapis : ésotérisme, pornographie, méthodes de contrôle et de propagande... Sulfureux par nature, le mouvement industriel s’était fixé pour objectif d’abattre les fondations de la civilisation, d’annihiler le réel pour établir un nouveau rapport perceptif au monde et à l’existence. Bref, en finir avec le flicage des consciences, au risque de brouiller le message à force de provocation. Quatre décennies plus tard, son pouvoir de subversion – sur la ligne de crête entre utopie et nihilisme – reste intact.