PAOLA CIARSKA
À Drawing Now Art Fair, qui se tient au Carreau du Temple à Paris du 21 au 24 mars 2024, la galerie 22,48 m² met en avant Paola Ciarska, jeune dessinatrice qui a renoué avec le genre de la miniature pour déployer tout un monde peuplé de femmes.
Dans la Cité des Dames, écrit entre décembre 1404 et avril 1405, Christine de Pizan, considérée comme la première auteure de la littérature française, raconte comment trois dames sont venues la trouver pour lui annoncer : « C’est à toi entre toutes que revient le privilège de faire et de bâtir la Cité des Dames. Et pour accomplir cette oeuvre, tu prendras et puiseras en nous trois, comme en une source claire. […] Ainsi ta Cité sera d’une beauté sans pareille et demeurera éternellement dans ce monde. » Après un long discours recensant les femmes célèbres et vertueuses dignes d’être prises en exemple, les calomnies et autres vexations – pour ne pas dire plus – généreusement distribuées par les hommes, Christine s’adresse à elles en ces termes : «Vous avez cause désormais, chères amies, de vous réjouir honnêtement sans offenser Dieu ni les bienséances, en contemplant la perfection de cette nouvelle Cité qui, si vous en prenez soin, sera pour vous toutes […] non seulement un refuge, mais un rempart pour vous défendre des attaques de vos ennemis. […] Souvenez-vous, chères amies, comment ces hommes vous accusent de fragilité, de légèreté et d’inconstance, ce qui ne les empêche point de déployer les ruses les plus sophistiquées et de s’évertuer par mille manières à vous séduire et à vous prendre, comme autant de bêtes dans leurs filets ! »
Dame Paola Ciarska, au moyen de miniatures réalisées à la gouache – technique cousine de la tempera des manuscrits enluminés du Moyen Âge –, présente une nouvelle Cité des Dames qui, certes, abrite des femmes bien moins vertueuses et beaucoup plus délurées – les temps ont changé. Souvent dénudées, ou tout au moins légèrement vêtues, ces Dames très pop et bien dans le kitsch de notre époque passent du bon temps entre elles dans des bâtiments cellulaires à plusieurs étages peints en perspective dite axonométrique qui permet
Sans titre (Gynécée, #3). 2022. Gouache sur carton on card. 10 x 10 cm de préserver volume et relief et est particulièrement utilisée en architecture. Diane(s) aux bains sans fâcheux Actéon(s) en embuscade, fumeuses de narguilé à la cool, gym en bikinis très itsi mini, peinture vermeerienne en atelier, modelage d’attributs masculins (un peu démesurés) en chambre, douche à plusieurs rappelant les nanards érotico-foireux du cinéma de quartier des seventies, etc.
HORLOGER SUISSE
Jusque-là, mis à part les sujets et la seule représentation féminine, rien de très extravagant. Si ce n’est que la taille des gouaches est de 10 x 10 cm (et 12,5 x 12,5 cm pour les plus monumentales)… Ce sont des miniatures peintes avec une précision d’horloger suisse – bien que leur auteure soit polonaise. Souvent, ces cellules sont en forme de nid d’abeilles suggérant que l’on puisse les assembler dans le style (par exemple) de la formule de la molécule de phtalate de diéthyle – composé organique liquide visqueux incolore sans aucun point commun avec nos Dames, mais sensible à la lumière et insoluble dans l’eau comme elles. À l’intérieur des cellules hexagonales miniatures de Paola Ciarska, d’autres cellules hexagonales sont formées par chaque « chambre ». L’invasion de naïades à la cool, paisibles, pourrait bien advenir. Dans cette dystopie, le risque serait que les cellules mâles et les cellules femelles ne soient plus connectées – à moins que leur relations soient tarifées de part et d’autre, selon les besoins. La miniature semble en passe de devenir une véritable tendance dans la scène artistique actuelle. Quelques artistes réalisent de toutes petites oeuvres, peut-être en réaction au gigantisme inquiétant de ces dernières décennies qui nous ont menés où l’on sait. Et à ce propos, afin de ne pas peser sur le système environnemental qui est une des préoccupations croissantes des récentes générations, le less redevient more et le small est beautiful. En tout cas, force est de constater que les petites oeuvres ont un pouvoir d’attraction certain. Accrochés dans une exposition, un tout petit tirage de Man Ray ou une double photographie anthropométrique d’Alphonse Bertillon font bien plus d’effet qu’un tirage photo aux dimensions démesurées – souvent un peu vain. Au 16e siècle, en un temps où, en Angleterre, la reine Elizabeth I avait un pouvoir et une aura considérables, les hommes étaient vêtus de manière très féminine et la miniature en matière de peinture était à la mode, avec pour chefs de file Nicholas Hilliard ou Isaac Oliver, dont la plupart des oeuvres les plus grandes mesuraient 13 cm et les plus petites 3,5 cm. Dans les salles d’exposition de la National Portrait Gallery de Londres, elles captent infailliblement le regard. Les gouaches de Paola Ciarska recèlent cette puissance inexplicable du minuscule. Dans ce salon Drawing Now, sur un stand de 2 mètres par 2 mètres, elles sont présentées une par une, renouvelées chaque jour ou bien après chaque vente. Et toute l’exposition tient dans une boîte à chaussures.
Philippe Ducat est graphiste spécialisé dans le livre d’art, éditeur et collectionneur de collections.
At the Drawing Now Art Fair, held at the Carreau du Temple in Paris from March 21st to 24th, 2024, the Galerie 22.48 m² is showcasing Paola Ciarska, a young draughtswoman who has reconnected with the miniature genre in order to deploy a world populated by women.
In The Book of the City of Ladies, written between December 1404 and April 1405, Christine de Pizan, considered to be the first female author of French literature, recounts how three ladies came to her and told her: “The prerogative among women has been bestowed on you to establish and build the City of Ladies. For the foundation and completion of this City you will draw fresh waters from us as from clear fountains. [...]Thus your City will be extremely beautiful, without equal, and of perpetual duration in the world.” After a long speech listing the famous and virtuous women worthy of being taken as examples, the calumnies and other vexations—to put it mildly—generously distributed by men, Christine addresses them in these terms: “You are right, my ladies, to rejoice greatly in God and in honest mores upon seeing this new City completed, which can be not only the refuge for you all [...] but also the defence and guard against your enemies and assailants [...]. Remember, dear ladies, how these men call you frail, unserious, and easily influenced but yet try hard, using all kinds of strange
and deceptive tricks, to catch you, just as one lays traps for wild animals.”
Through the medium of miniatures painted in gouache—a technique related to the tempera used for illuminated manuscripts in the Middle Ages—Lady Paola Ciarska presents a new City of Ladies, admittedly home to women who are much less virtuous and far more promiscuous— times have changed. Often nude, or at least scantily clad, these very pop and kitsch Ladies enjoy time with each other in multi-storey cellular buildings painted in the so-called axonometric perspective, which preserves volume and relief and is especially used in architecture. Diana(s) bathing with no pesky Actaeon(s) lying in ambush, chilling out and smoking hookahs, working out in itsy bitsy bikinis, practicing Vermeerian painting in the studio, modelling (slightly oversized) male attributes in the bedroom, sharing showers in scenes reminiscent of erotic B-movies in 1970s local cinemas, etc.
SWISS WATCHMAKER
So far, apart from the subjects and the exclusively female representation, this is nothing very extravagant. Except that the size of the gouaches is 10 x 10 cm (and 12.5 x 12.5 cm for the most
monumental)... These are miniatures painted with the precision of a Swiss watchmaker—even though their author is Polish.The cells are often honeycomb-shaped, suggesting that they could be assembled in the style of the formula for the diethyl phthalate molecule (for example)—a colourless, viscous liquid organic compound that has nothing in common with our Ladies, but which, like them, is light-sensitive and insoluble in water. Inside Paola Ciarska’s miniature hexagonal cells, other hexagonal cells are formed by each “chamber.”This invasion of cool, peaceful naiads may well come to pass. In this dystopia, the risk would be that male and female cells would no longer be connected—unless their relations were paid for by both sides, as needed. Miniatures seem to be becoming a real trend on the current art scene. Some artists are producing very small works, perhaps as a reaction to the worrying gigantism of recent decades, which has led us to where we are today. And on this subject, in order not to weigh on the environmental system, which is one of the growing concerns of recent generations, less is more and small is beautiful. In any case, there is no denying that small works have a definite power of attraction. When hung in an exhibition, a tiny print by Man Ray or a double anthropometric photograph by Alphonse Bertillon have a far greater impact than an oversized—and often rather vain—photographic print. In the sixteenth century, at a time when Queen Elizabeth I had considerable power and influence in England, men dressed in feminine clothes, and miniature painting was very much in vogue, led by Nicholas Hilliard and Isaac Oliver, most of whose largest works measured 13 cm and the smallest 3.5 cm. In the exhibition rooms of London’s National Portrait Gallery, they inevitably catch the eye. Paola Ciarska’s gouaches exert this same inexplicable fascination of the miniature. In this Drawing Now Fair, on a stand measuring 2 metres by 2 metres, they are presented one by one, renewed each day or after each sale. And the whole exhibition could fit into a shoebox.
Philippe Ducat is a graphic designer specialising in art books, a publisher and a collector of collections.
Paola Ciarska
Née en born in 1993 à in Gdańsk
Vit et travaille en lives and works in Sicile
Formation Education:
2016 Newcastle University
2012 Gateshead College
Expositions personnelles Solo shows:
2024 Paolaverse, Thinkspace, Los Angeles 2022 Am I Ludid, Am I Dreaming?, galerie Soon, Zurich ;
Gynécée, galerie 22,48 m2, Paris
2019 I Haven’t Left the House in 5 Days Please Send Help, galerie Emmanuel Hervé, Paris Expositions collectives Group shows:
2022 Tiny Ghosts, Roq La Rue gallery, Seattle 2021 Big Medecine, Giant, Bournemouth
2020 Casa Dolce Casa, galerie 22,48 m2, Paris