CAPUCINE VEVER À LA AT THE GRAINETERIE DE HOUILLES
Avec Là où le monde déborde,
Capucine Vever invite à naviguer en eaux troubles. De Gorée à la Garonne en passant par Ouessant ou Évry-Courcouronnes, elle nous exhorte à éprouver nos paysages. Guidée par le commissariat de Julie Sicault Maillé, l’exposition à La Graineterie, centre d’art contemporain de Houilles (30 mars-25 mai 2024), souligne une corporalité singulière dans les oeuvres de l’artiste.
Là où le monde déborde dresse un état des lieux d’une recherche où l’artiste née en 1986 se fait Wanderer, vagabonde et flâneuse. Cartographier l’horizon, arpenter la distance, la perspective et la nature.
Tout part nécessairement d’une fascination et du besoin de la sillonner minutieusement. Dans l’atelier de Capucine Vever, les livres se font compagnons. L’étude, quasi ascétique, devient le seul moyen d’approfondir le sens de mots et de concepts usés jusqu’à la corde. Panorama, horizon, territoire… Le titre même de l’exposition puise dans un ouvrage de la philosophe Céline
Flécheux, l’Horizon (2014). Selon elle, « aujourd’hui, le monde s’est agrandi à des dimensions telles qu’il ne correspond plus, déjà depuis longtemps, au globe terrestre ». Dans les excès et débordements de nos sociétés contemporaines, dans la volonté humaine de laisser sa trace sur la nature, se joue alors une nouvelle tragédie du paysage.
POLITIQUE ET TERRITOIRE
Derrière la vitrine de La Graineterie, Capucine Vever nous place à l’embouchure du Rio Piscinas-Irvì, au sud-ouest de la Sardaigne. Les couleurs du diptyque photographique Fiume Rosso (2019) rappellent dans leur chatoiement mystérieux les résidus tenaces d’une ancienne exploitation minière. À ces paradis toxiques et artificiels, l’artiste accole un geste critique, une simple phrase, une question, inscrite dans le sable : « La miniera respira ancora ? » (La mine respire-t-elle encore ?) Elle interroge le paysage et le signe.
Les créations de Capucine Vever questionnent aussi la politique. Qu’il s’agisse de la Méditerranée, de l’océan Atlantique ou bien d’une ville comme Évry-Courcouronnes, elle en explore les systèmes et chaque recoin. Elle se saisit de leurs potentiels scientifiques, cherche différentes méthodes pour mesurer, appréhender ce qui l’entoure. Avec l’installation À la fin, on sera tout juste au début (2020), l’artiste en résidence dans le Grand Paris Sud se prend de fascination pour ces villes nouvelles dressées au milieu des champs. Cette « immédiateté » fait naître dans son esprit de puissantes évocations. Elle se tourne alors vers un outil ancien – l’orographe, utilisé pour cartographier les zones de montagnes – afin de transmuter l’espace citadin en chaîne accidentée. Dans les sillons de terre cuite se glissent d’autres géographies urbaines.
Par de tels gestes, elle remet la politique au coeur des mappemondes et planisphères, interrogeant leurs constructions, leurs récits et leurs lacunes. Dans l’Expérience intérieure (1943), Georges Bataille écrivait : « Le refus de communiquer est [le] moyen de communiquer le plus hostile, mais le plus puissant. » Il en va de même pour le silence des cartes. Les vides, les manquements sont les témoins les plus loquaces des dynamiques oppressives d’un monde anthropisé. Dans le film la Relève (2019), le trafic maritime perpétuel au large du sémaphore du Créac’h demeure résolument invisible, à l’instar de certains pans de l’histoire. Dans ses dernières sculptures de terre cuite monumentales, les Troubles de la Garonne (2023-24), Capucine Vever part à la recherche de ces paysages enfouis. Ceux qu’elle avait commencé à explorer avec son polyptyque
vidéo Dunking Island (2022) ; ceux dont la poésie lancinante éclabousse et révèle les blessures d’un passé colonial. Ces espaces polyphoniques font vibrer nos repères autrement. Dans ce solo show, Capucine Vever dévoile un certain rapport à son propre corps. Car s’il est en apparence souvent absent, il s’imprime en creux. S’il ne peut aller au bout d’une expérience, il se distille et se propage à travers les rencontres, reconsidérant ainsi notre façon d’être au monde. Toujours sur le fil de l’invisible, de la dérive, de la contemplation ; l’artiste raconte le mouvement, la poésie et l’histoire. Là où le monde déborde débâtit les poncifs de la peinture de paysage, se déploie sur différentes échelles, sonde nos rapports à l’environnement, au territoire avec une exigence et une générosité où les panoramas ne s’admirent plus, mais se vivent.
Jeanne Mathas est critique d’art, commissaire d’exposition et chercheuse indépendante. Elle est une des fondatrices de l’association Nous sommes au regret.
With Là où le monde déborde, Capucine Vever invites us to navigate in troubled waters. From Gorée to the Garonne, by way of Ouessant and Évry-Courcouronnes, she encourages us to experience our landscapes. Curated by Julie Sicault Maillé, the exhibition (March 30th—May 25th, 2024) at La Graineterie, centre d’art contemporain de Houilles, highlights a distinctive corporality in her work.
Là où le monde déborde presents an overview of research in which the artist (b. 1986) becomes a Wanderer, a flâneuse. Mapping the horizon, surveying distances, perspectives and nature.
It all begins with a fascination and the need to explore it in minute detail. In Capucine Vever’s studio, books become companions. Near-ascetic study becomes the only way to delve deeper into the meaning of hackneyed words and concepts. Panorama, horizon, territory...The title of the exhibition is taken from a book by the philosopher Céline Flécheux, L’Horizon (2014). According to her, “today’s world has expanded to such dimensions that it no longer corresponds to the terrestrial globe, and hasn’t for a long time.” A new landscape tragedy is being played out in the excess and intemperance of our contemporary societies, in the human desire to leave its mark on nature. Behind the window of La Graineterie, Capucine Vever takes us to the mouth of the Rio Piscinas-Irvì, in south-west Sardinia. The mysteriously shimmering colours of the photographic diptych Fiume Rosso (2019) are reminiscent of the stubborn residues of a former mine. To these toxic, artificial paradises, the artist adds a critical gesture, a simple phrase, a question inscribed in the sand: “La miniera respira ancora?” (Is the mine still breathing?) She questions the landscape and the sign.
POLITICS AND THE TERRITORY
Capucine Vever’s creations also question politics. Be it the Mediterranean, the Atlantic Ocean or a city like Évry-Courcouronnes, she explores their systems and their every nook and cranny. She appropriates their scientific potential, looking for different methods of measuring and understanding her surroundings. With the installation À la fin, on sera tout juste au début (2020), the artist in residence in Grand Paris Sud became fascinated by these new cities built in the middle of fields. Their “immediacy” conjured up powerful images in her mind. She turned to an ancient tool—the orograph, used to map mountainous areas—to transmute the urban space into a rugged chain. Other urban geographies insinuate themselves into the terracotta furrows.
Through such gestures, she puts politics back at the heart of maps and planispheres, questioning their constructions, their narratives and their omissions. In Inner Experience (1943), Georges Bataille wrote: “The
De gauche à droite from left: À la fin, on sera tout
juste au début. 2020. 9 disques en terre cuite, encre de Chine et acier terracotta, ink, steel. Vue d’installation view La Ferme du Buisson, 2022. (Prod. Grand Paris Sud ; Ph. Emile Ouroumov). Fiume Rosso. 2019. Diptyque. Tirages jet d’encre inkjet. 60 x 90 cm chaque each. (Dans le cadre de Contemporary-Festival Arte d’Avanguardia, Donori, Italie ) refusal to communicate is [the most] hostile means of communication, but the most powerful.” The same applies to the silence of maps. Voids and gaps are the most eloquent witnesses to the oppressive dynamics of an anthropised world. In the film La Relève (2019), the perpetual maritime traffic off the Créac’h semaphore remains resolutely invisible, like certain stretches of history. In her latest monumental terracotta sculptures, Les Troubles de la Garonne (2023-24), Capucine Vever goes in search of these buried landscapes which she first began to explore in her video polyptych Dunking Island (2022). Their haunting poetry splashes across the wounds of a colonial past, throwing them into relief. These polyphonic spaces make our bearings vibrate in a new way.
In this solo show, Capucine Vever reveals a certain relationship with her own body. Although it may often appear to be absent, it is implicitly there. If it cannot follow through with an experience, it distils and propagates itself through encounters, thereby reconsidering our way of being in the world. Always on the edge of invisibility, of drifting, of contemplation; the artist recounts movement, poetry and history.
Là où le monde déborde debunks the clichés of landscape painting, unfurling on different scales, examining our relationship with the environment and the territory with a rigour and a generosity in which panoramas are no longer admired, but experienced.
Jeanne Mathas is an art critic, curator, independent researcher and a cofounder of Nous sommes au regret.