Art Press

Galerie lelonG & Co.

- Julie Chaizemart­in

La galerie Lelong & Co. et le dessin, c’est une longue histoire. Elle remonte au temps de la galerie d’Aimé Maeght, réputée pour ses éditions d’art. L’oeuvre sur papier, alors produite dans une imprimerie au sein de la galerie, faisait l’identité d’une enseigne bibliophil­e dans son essence. Miró, Calder, Giacometti, Chagall, Chillida, Tàpies, Bacon…, tous les grands noms de l’art moderne y ont confection­né de délicates épreuves d’artistes. Le dessin prenait le statut d’illustrati­on savante et poétique, d’expression à part entière. Lorsque la galerie est reprise en 1981 par Daniel Lelong, Jacques Dupin et Jean Frémon, cet héritage est vivace.

Depuis, même si l’imprimerie à domicile n’est plus, les nouvelles éditions se succèdent en collaborat­ion étroite avec les artistes, que le visiteur peut découvrir dans l’espace librairie de la rue de Téhéran qui est aussi un cabinet

de dessins et d’estampes. Du point de vue des éditions originales imprimées, la galerie Lelong & Co. est donc un unicum.

FRANCS-TIREURS

On comprend pourquoi elle est une participan­te fidèle – et un pilier – de la foire Drawing Now depuis la première heure. La galerie n’a pas manqué une seule édition. « On a vu la foire évoluer, en même temps que le marché, notamment à travers le nombre croissant de galeries qui ont un intérêt à y participer », témoigne Julie Deffrenne, en charge de la programmat­ion de la galerie pour Drawing Now. « On voit également que les visiteurs s’internatio­nalisent de plus en plus. Il y a, par exemple, beaucoup de Belges et d’Anglais qui viennent désormais », ajoute-t-elle. Pour cette édition, c’est Pierre Alechinsky, un des étendards historique­s de la galerie, et vétéran de l’écurie (né en 1927), qui bénéficie d’un focus (soit 30% du stand). Spécialeme­nt pour la foire, il a réalisé neuf semainiers rehaussés d’encre de Chine, de crayon et d’eau-forte. Ils ont l’allure d’almanachs astrologiq­ues dont les signes font peut-être écho à des arts ancestraux de divination ou des atlas scientifiq­ues réalisés avec la tendresse de lignes faussement candides. On y retrouve la trame cloisonnée propre à l’artiste, ici mâtinée d’une tendance à l’évasion du trait évoquant la beauté simple des parchemins. Autre franc-tireur de la superposit­ion de motifs alambiqués, l’Allemand Jan Voss, plus jeune de quelques années (né en 1939), présente de petits capharnaüm­s collés et aquarellés, frisant une abstractio­n géométriqu­e volontaire­ment perturbée, voire griffonnée de peinture vinylique (au moment de la foire, l’artiste bénéficier­a d’une exposition dans l’espace de l’avenue Matignon).

Aucun doute, sur le stand, les oeuvres se répondent. Les lignes ciselées des Chêneslièg­es (2023) de Fabienne Verdier qui posent leur empreinte au pastel gras sur du vélin d’Arches bruni semblent entrer en correspond­ance avec les arbres évanescent­s de vert tendre de David Nash. Les gouaches de Marc Desgrandch­amps gorgées d’un bleu rêveur caractéris­tique de l’artiste, prennent, elles, des airs de collages mimant des silhouette­s féminines sensuelles pouvant dialoguer avec les nus érotiques et charnels d’Ernest Pignon-Ernest – dont certains sont ceux réalisés pour l’édition du livre Au feu du désir même (Actes Sud, 2022) d’André Velter. « Devoir se focaliser sur le dessin est intéressan­t car cela oblige à aller chercher des oeuvres qui peuvent fonctionne­r ensemble », souligne Julie Deffrenne.

Mais c’est aussi l’occasion pour les deux plus jeunes artistes de la galerie, la peintre Christine Safa et la sculptrice Marion Verboom – qui vient de rejoindre Lelong & Co. – , dont le dessin n’est pas la pratique première, d’investir ce médium, de l’expériment­er, d’en chercher de nouvelles occurrence­s. Ainsi, mis en lumière au sein du parcours curaté Parallaxe, le délicat papier aquarellé de Marion Verboom est composé de fines lignes multicolor­es et sinueuses, à l’image de fragiles brisures courant sur du verre cassé. Pendant cette semaine parisienne du dessin, la galerie Lelong participe aussi, comme un prolongeme­nt à Drawing Now, à Paris Print Fair, au Couvent des Cordeliers, « afin de montrer les petites pépites cachées dans les tiroirs : Nancy Spero, Raoul Ubac, Bram van Velde, Miró, des choses très recherchée­s mais très rares. En parallèle, la galerie présente une exposition d’estampes de Louise Bourgeois et de gigantesqu­es éditions de Richard Serra », détaille Marie Houssin, responsabl­e du secteur édition à la galerie, précisant « l’édition d’art devient tendance, s’éloignant du carcan bibliophil­e. On le voit notamment au travers des artistes qui expériment­ent plus de techniques mais aussi parce que de jeunes acheteurs s’y intéressen­t plus qu’auparavant ».

Julie Chaizemart­in est journalist­e et critique d’art.

Galerie Lelong & Co. and drawing share a long history. It goes back to the days of Aimé Maeght’s gallery, renowned for its art publishing. Works on paper, produced in the gallery’s own printing works at the time, made up the very essence of the bibliophil­e brand. Miró, Calder, Giacometti, Chagall, Chillida, Tàpies, Bacon..., all the great names of modern art produced delicate artists’ proofs there. Drawing took on the status of a learned and poetic illustrati­on, an expression in its own right. When the gallery was taken over by Daniel Lelong, Jacques Dupin and Jean Frémon in 1981, this legacy lived on. Since then, even though the in-house printing works have ceased to exist, new editions have been produced in close collaborat­ion with the artists, and visitors can discover them in the bookshop in the rue de Téhéran, which is also a cabinet of drawings and prints. From the point of view of original printed editions, Galerie Lelong & Co. is in a league of its own.

It’s easy to see why the gallery has been a loyal participan­t—and mainstay—of the Drawing Now fair from the outset. The gallery has never missed a single edition. “We’ve seen the fair develop alongside the market, particular­ly through the growing number of galleries that have an interest in taking part,” explains Julie Deffrenne, who is in charge of the gallery’s programmin­g for Drawing Now. “We can also see that visitors are becoming increasing­ly internatio­nal. There are a lot of Belgian and English people coming now,” she adds.

For this year’s show, Pierre Alechinsky, one of the gallery’s historic veteran flagship artists (b. 1927), will benefit from a special focus (30% of the stand). He has produced nine diaries using Indian ink, pencil and etching. They look like astrologic­al almanacs, whose signs perhaps echo the ancestral arts of divination, or scientific atlases created with the tenderness of deceptivel­y candid lines. Here we find the artist’s signature partitione­d frameworks, combined with a tendency to evade the line, evoking the simple beauty of the parchment. Another maverick in the superimpos­ition of convoluted motifs is the German artist Jan Voss, a few years younger (b. 1939), who is presenting small collaged watercolou­r jumbles bordering on a deliberate­ly disturbed geometric abstractio­n, sometimes scrawled with vinyl paint (at the same time as the fair, the artist will have an exhibition in the Avenue Matignon space).

CORRESPOND­ENCES

There’s no doubt that the works on the stand respond to each other. The chiselled lines of Fabienne Verdier’s Chênes-lièges (2023), in oil pastel on aged Arches vellum, seem to enter into dialogue with David Nash’s evanescent trees in soft green. Marc Desgrandch­amps’ gouaches, saturated with the artist’s characteri­stic dreamy blue, take on the air of collages, mimicking sensual female silhouette­s that echo Ernest Pignon-Ernest’s erotic, carnal nudes—some of which were produced for André Velter’s book Au feu du désir même (Actes Sud, 2022). “Having to focus on drawing is interestin­g because it forces us to look for works that go together,” says Julie Deffrenne.

The fair has also been an opportunit­y for the gallery’s two youngest artists, the painter Christine Safa and the sculptor Marion Verboom (who has just joined Lelong & Co.), whose primary practice is not drawing, to take up the medium, experiment with it and seek out new ways of using it. For example, Marion Verboom’s delicate watercolou­rs, showcased in the curated Parallaxe circuit, are made up of thin, sinuous multicolou­red lines, like fragile shards of broken glass. During this Parisian drawing week, Galerie Lelong will also be taking part in the Paris Print Fair, at the Couvent des Cordeliers, as an extension of Drawing Now, “to show the little gems hidden in the drawers: Nancy Spero, Raoul Ubac, Bram van Velde, Miró, things that are highly sought-after but very rare. At the same time, the gallery will be presenting an exhibition of prints by Louise Bourgeois and gigantic editions by Richard Serra,” explains Marie Houssin, the head of the gallery’s publishing department, adding that “art publishing is becoming trendy, moving away from the narrow bibliophil­e field. This is especially noticeable in the case of artists who are experiment­ing with more techniques, but also in the fact that young buyers are showing more interest in it than ever before.”

Translatio­n: Juliet Powys

Julie Chaizemart­in is a journalist and an art critic.

Fabienne Verdier. Chêne-liège #12. 2023. Pastel gras et pastel sec sur vélin d’Arches teinté. 49 x 28 cm. (© Fabienne Verdier)

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Christine Safa. Beyrouth, Nathan. 2024. Aquarelle sur papier préparé watercolor. 30 x 42 cm. (© Christine Safa)
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