Galerie antoine Dupin
Installée depuis 2022 dans une ancienne ferme, à Saint-Méloir-des-Ondes, près de Cancale, sur la route qui mène au Mont Saint-Michel, la galerie Antoine Dupin rivalise de singularité. Ici, en effet, l’esthétique du white cube est totalement évacuée au profit d’une architecture élaborée autour de charpentes anciennes et de murs en pisé : pareil cadre offre des contrastes saisissants avec les oeuvres contemporaine qui y sont exposées. Pour sa deuxième participation à Drawing Now, la galerie déploie une sélection resserrée sur les oeuvres d’Hélène Jayet, Sylvain Le Corre et Olivier Masmonteil.
Artiste française originaire du Mali, née en 1977, Hélène Jayet est diplômée des BeauxArts de Montpellier puis formée à la photographie à Paris. Puisant ses sources au sein d’images extraites de livres anciens ou bien de collections photographiques, notamment celle du musée de la photographie de Saint-Louis au Sénégal, l’artiste réinterprète au moyen du dessin – et plus spécifiquement par de minutieux maillages de points – les représentations de l’Afrique coloniale. Tracés à l’acrylique et reliés entre eux par l’usage du pastel sec, les points s’agencent en réseaux denses et serrés, révélant alors de manière rénovée des scènes de la vie quotidienne issues du siècle dernier. De près, l’oeil se perd dans une image en noir et blanc qui semblerait abstraite, parfaitement brouillée, et le regard doit s’éloigner pour voir apparaître les volumes, les perspectives et les différents motifs qui la fondent. Sous l’effet de cette translation, c’est d’un changement de perception dont il est question, au sens propre comme au figuré : la prise de recul est nécessaire pour reconsidérer tout un imaginaire colonial, véritablement promu lors d’une époque passée.
AMORCES DE RÊVERIES
Si les travaux d’Hélène Jayet examinent les thèmes cardinaux de l’identité et de la place des individus dans la société, ceux de Sylvain Le Corre engagent pour leur part une réflexion sensible sur une nature en constant mouvement, ses oeuvres questionnant alors l’essence même du vivant. Installé dans le Morbihan, l’artiste né en 1988 collecte au gré de ses promenades les matières naturelles qui peuplent son environnement. De retour à l’atelier, il en contemple les excroissances, les germes protubérants, ces derniers formant autant d’« amorces de rêveries » que l’artiste choisit d’incarner en recherchant chaque fois un langage, une nouvelle iconographie. Artiste dont les oeuvres prennent vie au travers de différents médiums (sculpture, aquarelle), ses dessins réalisés à l’encre, au graphite et au fusain, ordonnent une relation intime au paysage où tout n’est question que de cycles et d’états de transitions, d’imbrications harmonieuses et de transformations. Algues et champignons sont alors envisagés comme des concrétions dont les métamorphoses, parfaitement fantasmées, se présentent par fragments délicatement détaillés. Isolés sur fond blanc, leurs motifs se détachent à la manière d’un herbier grouillant et fantastique, blason d’une nature souveraine, fascinante et organique.
Le règne des éléments s’exprime également de manière magistrale dans les fusains d’Oli
vier Masmonteil. Au printemps 2023, l’artiste né en 1973 s’installe en résidence à Cancale durant plusieurs semaines pour peindre et dessiner sur le motif, directement depuis les points de vue sélectionnés avec le galeriste Antoine Dupin, le long de la côte d’Émeraude et de ses paysages marins. La Pointe du Grouin, la Varde et le Point du jour s’ouvrent sur la Manche et sur la baie du Mont-SaintMichel, là où les marées et le ressac permanent s’accordent magistralement au subtil ondoiement des courants. Car dans cette série de fusains, la reproduction, au lieu de produire du vraisemblable, est gage d’imprégnation et Masmonteil y intègre pleinement les données climatologiques afin d’en accentuer l’atmosphère, s’attachant ainsi à dégager les caractères spécifiques de l’air, de l’eau et de la terre. Le trait se fait vif, rapide, direct et spontané, à la faveur d’un paysage qui basculerait dans un registre abstrait, là où prédomine toute la vérité du ciel.
nDocteur en histoire de l’art, Maud de la Forterie est journaliste et critique d’art.
Since 2022, the singular Antoine Dupin gallery has been housed in an old farmhouse in Saint-Méloir-des-Ondes, near Cancale, on the road to Mont Saint-Michel. Here, the white cube aesthetic has been completely eschewed in favour of an architecture centred around ancient roof timbers and adobe walls: a setting that offers striking contrasts with the contemporary works on display. For its second year at Drawing Now, the gallery is presenting a selection of works by Hélène Jayet, Sylvain Le Corre and Olivier Masmonteil.
Born in Mali in 1977, Hélène Jayet is a French artist who graduated from the Beaux-Arts in Montpellier before pursuing photographic training in Paris. Drawing on images from old books and photographic collections, including that of the Musée de la Photographie de Saint-Louis in Senegal, the artist reinterprets representations of colonial Africa through drawing—and more specifically through meticulous meshes of dots. Drawn in acrylic and linked together by the use of dry pastel, the dots are arranged in dense networks, casting new light on scenes of daily life from the last century. Up close, the gaze gets lost in a perfectly blurred blackand-white image that appears to be abstract,
and it is necessary to take a step back in order to see the volumes, perspectives and different motifs that constitute it. A change in perception is required, both literally and figuratively: this distancing enables us to reconsider a whole colonial fantasy, one that was strongly promoted in days gone by.
BEGINNINGS OF REVERIES
Whereas Hélène Jayet’s work examines the cardinal themes of identity and the place of individuals in society, Sylvain Le Corre’s is a sensitive reflection on constantly mutating nature, with his works questioning the very essence of living things. Based in the Morbihan region of Brittany, the artist, born in 1988, collects the natural materials that make up his environment on his walks. Back in the studio, he contemplates the outgrowths, the protruding sprouts, forming the “beginnings of reveries” that the artist chooses to embody, each time seeking a new language, a new iconography. He is an artist whose works come to life through a variety of media (sculpture, watercolour). His ink, graphite and charcoal drawings establish an intimate relationship with the landscape, in which everything is a question of cycles and states of transition, of harmonious interweaving and transformation. Algae and fungi are seen as concretions whose perfectly fantasised metamorphoses
are presented in delicately detailed fragments. Isolated on a white background, their motifs stand out like a swarming, fantastic herbarium, the emblem of a sovereign, fascinating and organic nature.
The reign of the elements is also masterfully expressed in the charcoals of Olivier Masmonteil. In the spring of 2023, the artist, born in 1973, undertook a residency in Cancale for several weeks, painting and drawing along the Emerald Coast from viewpoints selected with the gallery owner Antoine Dupin. The Pointe du Grouin, the Varde and the Point du Jour look out over the Channel and the Bay of Mont-Saint-Michel, where the tides and the constant backwash brilliantly harmonise with the subtle undulation of the currents. Rather than producing plausibility, reproduction is a guarantee of impregnation in this series of charcoal drawings. Masmonteil includes climatological data in order to accentuate the atmosphere, endeavouring to bring out the specific characteristics of the air, the water and the earth. His brushstrokes are quick, lively, direct and spontaneous, as if the landscape were switching into an abstract register, presided over by the truth of the sky.
nTranslation: Juliet Powys
Maud de la Forterie is a journalist and art critic with a doctorate in art history.