Yannick Haenel
Bleu Bacon
Stock, 227 p., 19,50 euros
Investir le temps de la nuit, du sommeil, pour déambuler seul dans l’exposition Bacon en toutes lettres (2019) du Centre Pompidou fut une expérience éprouvante dont Yannick Haenel publie aujourd’hui le récit. Il faut du courage pour se confronter à la violence des toiles du monstre sacré de l’art contemporain. De la témérité pour faire face, dans la solitude et le silence d’une insomnie, aux visages défigurés de ses autoportraits. À peine l’a-t-on laissé seul que l’écrivain est traversé par une déflagration, une migraine ophtalmique qui trouble sa vision et le terrasse de douleur. «Titubant comme un damné », il s’allonge et plonge dans une somnolence nébuleuse. Mais des litanies le hantent. « Bacon provoque ça chez celui qui le regarde : il lui cisaille les yeux », Haenel en est convaincu, ce n’est pas un hasard si le mal lui tombe dessus, à l’instant précis où il pensait pouvoir approcher au plus près ses oeuvres dans les salles dénuées de la foule grouillante de visiteurs. Dans ses songes, un bleu liquide, salvateur, lui apparaît. Celui de Water from a Running Tap (1982) qui, peu à peu, atténue la brûlure. « Je voulais me tenir au plus près du déchirement, aller jusqu’au bout du supportable », c’est cette quête que porte l’écrivain. Plusieurs heures après son arrivée, il s’abandonne enfin à cette peinture ardente, qui l’étreint autant qu’elle le torture. Il court d’une salle à l’autre, pris d’une ivresse, bienheureux d’avoir retrouvé la vue. Des oeuvres soudain le happent, parmi lesquelles OEdipe et le Sphinx d’après Ingres (1984), toile dans laquelle tout chavire. Dans un texte traversé par une joie extatique, celle d’avoir pu expérimenter un rapport étroit avec le peintre, l’auteur livre une lecture personnelle de ses tableaux, reflets de la violence d’un monde au bord du précipice, un monde survenu après la mort de Dieu.