Un dernier verre avant le couvre-feu
Hier soir, dans les bars de la Butte-aux-cailles (Paris XIIIE), des fêtards trinquaient, avant que cela ne soit plus possible, avec les restrictions d’horaires liées au Covid.
À LA TERRASSE du bistrotresto les Tanneurs de la Butte, deux jeunes amis trentenaires trinquent au petit vin blanc. « Allez, à notre dernier verre ! » souhaite Chloé, qui se retrousse les manches dans la mode. « Avant la fin du monde ! » enchaîne son voisin, DJ privé de platines depuis le début de la pandémie. Dans le quartier animé de la Butteaux-cailles à Paris (XIIIE), ils étaient des centaines hier soir à savourer leurs dernières gorgées nocturnes, en salle ou à l’extérieur, avant le couvrefeu qui a démarré à minuit.
A partir de ce soir, et pour au moins un mois en Ile-de-france comme dans huit métropoles, il ne sera plus possible de se dire « tchin ! » après 21 heures dans les cafés-restaurants. Ni même de circuler, sauf dérogation, jusqu’à 6 heures. Alors, pour cette ultime soirée « à peu près normale », beaucoup de jeunes et quelques moins jeunes en profitent.
« C’est un peu triste mais ce n’est pas la fin du monde »
La plupart des établissements affichent complet. On refait le monde debout, à des tables qui, parfois, n’ont pas intégré la fameuse « règle des six ». A l’une d’elles, on recense dix convives à la bouche non muselée. Pour Chloé, ces dernières heures de liberté sont précieuses. « Mais elles ont quand même une saveur d’on recommence tout », résume-t-elle. « Une saveur de reconfinement », poursuit César. Quand elle se projette ces jours à venir, Chloé fait grise mine : « C’est quand même une charge mentale d’être chez nous avant 21 heures. » Margaux, 24 ans, qui « bosse dans le marketing de luxe », est sur la même longueur d’onde. « Même si je sais que c’est pour le bien de tous, j’ai l’impression d’être punie », confie-t-elle. Marie-laure, graphiste, et Gonzague, entrepreneur, pensent à leurs trois garçons âgés de 17, 20 et 23 ans : « Pour eux, pour leur génération, c’est vraiment dur », estime ce couple de quadragénaires.
En face, à la Taverne de la Butte, on évite de penser à demain. « C’est pas notre dernier verre, mais nos derniers verres, on a encore jusqu’à minuit ! » s’enthousiasme un noceur au gosier en pente. « Après, on va perdre en capital fun », regrette Cassandre, 25 ans. « N’avoir que le travail comme vie sociale, c’est un peu triste. Mais bon, ce n’est pas la fin du monde. Là, déjà, on a de la chance de pouvoir se payer des coups », relativise Svend, jeune cadre.
« La bière a le goût du désespoir »
Lucas, 28 ans, chef de rangbarman au chômage, s’inquiète pour l’avenir de sa profession. « Ça me fait de la peine pour les patrons qui ont déjà baissé le rideau ou qui sont en difficulté », souligne ce moustachu qui carbure au virgin mojito. Yann, 36 ans, fonctionnaire, n’a pas changé ses habitudes : « Chaque vendredi soir, on boit des coups. Bienvenue dans la culture française ! Mais demain, c’est gueule de bois ! »
A la terrasse de chez Mamane, « couscous-bar-restaurant », Ldjida, 34 ans, assistante de direction, noie un peu son chagrin aux côtés de ses collègues. « La bière a le goût du désespoir, c’est déprimant de savoir qu’on ne pourra plus sortir », témoigne-t-elle. Son samedi soir à la maison s’annonce moins arrosé : « Ce sera Netflix, avec mes chats et mon mari. » Alors, avant cette routine, la bande a décidé de se « retrouver exprès ». « On s’est dit : c’est la dernière fois avant un bon bout de temps », explique Yan, responsable de travaux qui a un faible pour l’apéritif anisé.
Dans l’établissement d’à côté, derrière le comptoir du Papagallo, Nassim le barman n’a pas une seconde pour lui. « Il y a beaucoup de monde, plus de réservations que d’ordinaire, les habitués sont venus nous soutenir », remercie-t-il. Pour les caisses de la maison, c’est « une période difficile ». « Mais les quatre prochaines semaines le seront encore plus », s’alarme-t-il.
En face, chez Gladines, restaurant basque, on fait la queue dehors, parfois un verre en main, en attendant qu’une table se libère. « J’ai failli rester chez moi. Mais j’ai changé d’avis comme c’est la dernière soirée avant le couvre-feu », raconte Cyrine, 31 ans, cuisinière. « Après, il faudra être de retour à 21 heures à la maison, comme quand on était petites », se souvient sa copine. Cateline, 26 ans, chasseuse de têtes, a bien l’intention d’en profiter jusqu’à minuit, et peutêtre un peu plus même si ce n’est plus légal. « Oui, mais ce vendredi, tout est permis ! » défend-elle.
"Même si je sais que c’est pour le bien de tous, j’ai l’impression d’être punie
MARGAUX, 24 ANS