«Quand Juliette veut un câlin de sa mère, on va au cimetière»
L’ancien compagnon d’aurélie Châtelain a livré hier un témoignage bouleversant sur la vie de leur petite fille privée de maman, au procès du terroriste présumé de Villejuif en 2015.
LA VEILLE de sa mort le 19 avril 2015, Aurélie Châtelain avait envoyé un dernier SMS à Mickaël, son ancien compagnon et père de Juliette, leur fille de 4 ans et demi : « Fais un gros bisou à ma princesse. » « Depuis ce jour, tous les soirs avec Juliette, on a un petit rituel », raconte-t-il à la barre de la Cour d’assises spéciale qui juge, entre autres, Sid-ahmed Ghlam, le meurtrier présumé de la mère de cette fillette aujourd’hui âgée de 10 ans. « Elle est dans son lit, on discute un peu, on écoute cinq minutes la boîte à musique Reine des neiges que lui a offerte la soeur d’aurélie puis on lève les mains au ciel et on dit : Gros bisous maman, je t’aime, poursuit ce père courage en joignant le geste à la parole. Ça, je ne le pardonnerai jamais. » La salle est figée par l’émotion. L’un des accusés qui comparaît libre sèche ses larmes.
Au dixième jour du procès de l’étudiant algérien de 28 ans, soupçonné d’avoir voulu commettre un carnage dans une église de Villejuif (Val-de-marne) au nom de l’etat islamique, et de ses complices présumés, la cour a entendu hier les proches de l’unique victime de cet acte terroriste. Aurélie Châtelain, une professeure de fitness de 32 ans, avait quitté sa ville de Caudry (Nord) pour suivre un stage de Pilates en région parisienne. Sa mort, imputée à Sidahmed Ghlam qui le conteste, a vraisemblablement évité un carnage. Mais elle a dévasté toute une famille. Avec beaucoup de courage et de dignité,
Mickaël retrace sa rencontre avec Aurélie en 2003. L’amitié qui évolue, les sentiments qui naissent. A l’été 2010, Juliette voit le jour. Le couple se sépare un an et demi plus tard — « ma fille était devenue ma priorité », explique son père — mais reste très uni.
Ce funeste 19 avril 2015, Mickaël est contacté par la gendarmerie qui l’invite à se rendre chez la mère de son ex-compagne. « Un dimanche à 15 heures, ça m’a paru tellement bizarre que je me suis dit qu’il y avait un gros problème avec Aurélie, se souvient cet homme de 39 ans, les mains posées sur la barre. Ma belle-mère était en pleurs, elle hurlait On m’a enlevé ma fille. » Pour une raison qu’il ne s’explique toujours pas, un gendarme lui demande de prévenir le père d’aurélie par téléphone.
L’angoisse de tout père
Mais le soir, c’est une annonce encore plus douloureuse qui l’attend. L’angoisse de tout père, celle d’annoncer à son enfant la disparition de sa mère. « Je l’ai prise dans mes bras, je lui ai fait un câlin comme je ne lui en avais jamais fait et je n’ai rien dit. Je n’avais pas les mots », souffle-t-il, très ému. Les émotions se bousculent. Car deux jours plus tôt, sa nouvelle compagne lui a annoncé être enceinte. Pendant toute la journée du samedi, Mickaël avait cherché le meilleur moyen ludique pour annoncer à Juliette qu’elle allait devenir grande soeur. « Mais au lieu de lui annoncer la vie, j’ai dû lui annoncer la mort », dit-il en refrénant ses sanglots.
Depuis ce jour, Mickaël se décrit comme un père « extrêmement protecteur ». « Juliette a le comportement standard d’une fille de son âge à l’exception de l’école, où elle se retrouve parfois seule quand ses amis parlent de tout ce qu’ils ont fait avec leur maman. Une fois, le directeur m’a dit qu’il l’avait vue en pleurs. C’est insupportable, ce n’est pas juste », raconte cet homme qui décrit le lien très fort qui unit désormais la fillette à son petit frère. « Elle s’attache facilement aux enfants plus jeunes. Elle est très maternante. Ce manque affectif, elle se l’est approprié et le transmet. »
Mais Mickaël n’est pas là uniquement pour partager son chagrin, il veut s’adresser aux huit accusés présents. « Vos familles sont aussi victimes mais l’avantage, c’est que tôt ou tard, vous reverrez vos enfants, vos femmes, vos frères et soeurs, développe-t-il. Juliette, sa mère, elle ne la reverra plus. Le seul endroit où elle le peut, c’est dans ses rêves. Et encore, à 5 ans, les souvenirs sont assez rares. Je ne sais pas comment sont vos parloirs mais, si c’est en direct, profitez-en parce que les enfants ont besoin de câlins et de caresses. Moi, quand Juliette veut un câlin de sa mère, on va au cimetière. La douceur qu’elle touche est dure comme du granit. C’est froid, ça n’a aucune chaleur. Est-ce que vous comprenez ça ? »
La présidente invite Sidahmed Ghlam, impassible pendant cette déposition bouleversante, à exprimer son ressenti. « Je présente mes condoléances à la famille d’aurélie Châtelain. J’ai beaucoup de compassion et je m’associe à votre douleur », confie sans émotion particulière celui que tous les indices accusent. « Je suis convaincu que ce procès fera toute la lumière et apportera la vérité », embraye-t-il. Dans le box, Abdelkader Jalal, accusé d’avoir participé à la fourniture du matériel du terroriste, explose : « Ferme ta gueule. Avoue et qu’on n’en parle plus. » Sid-ahmed Ghlam sera entendu jeudi sur les faits.
"Le seul endroit où elle peut [revoir sa mère], c’est dans ses rêves
MICKAËL, LE PÈRE DE JULIETTE