« Comme une histoire d’amour brimée »
C’ÉTAIT UNE PREMIÈRE à la drôle de saveur hier soir au Théâtre de Paris (IXE) où débutait, à la veille du premier couvre-feu, « le Dernier Jour du jeûne » de Simon Abkarian. A une heure du lever de rideau, l’ambiance dans les coulisses est calme. Etrange presque. « On se sent un peu comme si on attendait un verdict », glisse Ariane Ascaride en se mettant du noir aux yeux. « J’espère qu’on va arriver à jouer encore, à avoir encore des rendezvous, souffle-t-elle. On vit un peu comme une histoire d’amour qui serait brimée. »
Une histoire avec le public qui se trouve chahutée : la troupe devait jouer aujourd’hui, mais c’est annulé. Elle jouera demain, puis les weekends, en après-midi. « Des horaires peu habituels, c’est très perturbant… Ça me fait drôle de dire : il va y avoir un couvre-feu. Je pense au Dernier Métro de Truffaut et me demande à quelle heure ils jouaient ? »
« Jouer est un acte de résistance »
Au rez-de-chaussée, dans la cuisine des coulisses, Simon Abkarian s’en grille une petite avec une partie de l’équipe. « Je n’arrive pas à la célébrer comme il se doit cette première, à cause de ce qui se passe en France, en Europe, en Arménie, mon pays d’origine, la détresse est globale », confie l’acteur, auteur et metteur en scène de la pièce. « Mon âme, mes nuits blanches sont làbas où on laisse faire, comme cette épidémie, on s’est dit qu’elle n’arriverait pas, et puis l’eau est montée plus vite que ne sont arrivés les secours. »
Tout habillé de blanc, comme le patriarche méditerranéen qu’il joue dans sa pièce, il semble chercher du réconfort au plus près de sa troupe. « Je leur dis toujours un mot avant le début, je ne sais pas encore précisément quoi, mais sûrement que jouer est un acte de résistance, et ce soir plus que jamais, on va apporter une petite pierre à la barricade qui se dresse face à l’obscurantisme ? »
Au premier, dans sa loge, Ariane Ascaride fixe son miroir, vérifie son regard. « Une première c’est si gai normalement, lâche-t-elle encore, pensive. Mais on n’est pas triste, s’empresse-t-elle d’ajouter. Non, on est un peu comme des guerriers, on a très envie de jouer, on va se glisser dans les moindres interstices pour le faire, mais il faut que le public nous accompagne. »
Ce soir, ils sont 400 dans la salle. Pas mal, sur une jauge Covid de 700 max. On la quitte en lui lançant le « merde » de rigueur. Elle le prend et nous souhaite bonne chance en retour. Et un conseil pour les soirées de couvre-feu : « Apprenez à tricoter ! »