Les as des cadrans
Quand l’aiguille du compteur s’affole, quand celle du compte-tours reste inerte et que celle de la température d’eau est collée dans le bleu en pleine canicule, il est temps de prendre rendez-vous chez Repar Compteur.
Si vous cherchez un peu, il existe encore quelques artisans qui peuvent vous “sauver la vie”. Repar Compteur fait partie de ces petites entreprises dont on se refile la carte entre connaisseurs. Tout a commencé il y a bien longtemps lorsqu’Otto Schulze dépose le brevet du premier tachymètre à courants de Foucault comme indicateur de vitesse à l’Office impérial des brevets de Berlin en octobre 1902. Faute d’argent et de compétences commerciales, Otto Schulze ne peut fabriquer ses propres compteurs de vitesse et cède ses brevets à la société d’Edouard Seignol, installé à Paris. Plus tard, au moment de la Seconde Guerre mondiale, Pierre Laurent, spécialiste en TSF, se voit intégré chez OS. En 1948, le jeune homme s’installe à son compte et continue de faire ce qu’il a appris à faire, c’est-à-dire réparer les compteurs d’automobile. En 1976, il ferme la boutique. Plus personne ne fait réparer de compteur et le phénomène de la voiture de collection commence à peine à émerger (la première édition de Rétromobile date de 1976).
Un peu après l’an 2000, Jean-Bastien se balade dans un tout petit village. L’ami qu’il visite lui parle de son voisin qui aurait un lot de compteurs de vieilles voitures « neufs en boîte ». Quand Jean-Bastien pousse la porte de l’atelier de Pierre, rien n’avait bougé depuis 25 ans. « Je lui ai dit que je prenais tout le matériel, stock, machines et outils, à condition qu’il me forme », explique t-il. Le nouveau propriétaire démarre cette activité en même temps qu’il pratique son ancien métier d’agent immobilier. « Comme il achetait du neuf, il avait beaucoup de pièces d’usure, continue Jean-Bastien. Peut-être dix ou vingt mille. Il y avait de tout sauf de l’Américaine. » Aujourd’hui, Repar Compteur est capable de refaire tous les instruments de bord des automobiles de 1905 à 1990. « On fait énormément d’Anglaises, d’Italiennes, d’Allemandes et de Françaises si elles valent le coup », explique JB. Ce n’est pas que Repar Compteur soit cher (au contraire, ils essayent de contenir les coûts) mais les collectionneurs hésitent quand il faut dépenser 400 ou 500 euros pour refaire un compteur. « Parfois, ça peut être un mauvais calcul. Nous, on refait les compteurs “sortie d’usine” et garantis », commente Jean-Bastien. Repar Compteur, c’est aujourd’hui une équipe de trois associés qui possèdent chacun sa propre spécialité : Arthur (les anciennes des années 30-40), Adrien (les Allemandes et les compteurs électroniques) et Jean-Bastien (tout le reste). En 2017, à la liquidation de la dernière boîte française qui fabriquait des compteurs, Repar Compteur a fait ses courses. Historiquement, Jaeger avait racheté Veglia et toutes les marques concurrentes avant d’être absorbée par Magneti Marelli. Les archives, les pièces, les
outils... ont été soigneusement conservés de déménagement en déménagement jusqu’à la liquidation finale de l’usine d’Amiens qui fabriquait notamment les instruments des Ferrari California. Ce jour-là, Jean-Bastien s’est ruiné et a acheté l’équivalent de six camions de 20 m3 de marchandises. Depuis, Repar Compteur possède tous les plans des compteurs fabriqués depuis la guerre par Jaeger, tous les typons permettant d’imprimer les fonds de compteur mais aussi les lignes d’outillage pour réaliser les prototypes. « On a tout depuis la dernière Traction et on est capable de faire de petites séries de pièces », se vante Jean-Bastien. Récemment, Repar Compteur a sorti une bonne partie des compteurs de Dauphine (les 130, les 150, les 160 et les Caravelle), les P60, les HY et les 2 CV (mais il y a plein d’autres modèles en stock visibles sur le site). « On ressort des verres neufs d’époque et on imprime grâce au film d’époque », explique Jean-Bastien. Après, tout est possible et c’est là que leur immense savoir-faire fait la différence. Grâce à une imprimante 3D, ils refont les structures internes de compteur en zamak qui tombent en poussière. «On sort un proto fonctionnel en plastique que l’on fait prototyper en métal, révèle Jean-Bastien. Quand la pièce est validée, on fait réaliser une petite série de pièces définitives en métal. » Les aiguilles sont des pièces délicates et nécessitent un certain doigté. « Souvent les gens les cassent en tentant de les bricoler, commente Jean-Bastien. Ce sont des pièces compliquées à réaliser car il faut plier dans le sens de la longueur des pièces de 3 mm de large qui sont équilibrées en rotation ! » Dans la mémoire récente de l’entreprise, il y a quelques chefs-d’oeuvre dont se souvient Jean-Bastien avec amour. « On a refait à neuf un tableau de bord d’un cabriolet Hispano-Suiza de 1935, s’enorgueillit Jean-Bastien. Et, en ce moment, on refait tous les instruments d’une Ferrari 250. » Il s’agit juste d’être patient car Repar Compteur annonce six mois de délai. « On a subi trois vagues qui nous ont submergés », explique JB.
« Lors de la première vague de Covid, on a vite ressenti que les gens s’étaient occupés de leurs autos, constate le patron heureux. Ensuite, le Brexit nous a ramené beaucoup de clients européens. C’est devenu tellement compliqué de récupérer et de réexpédier des pièces que nos confrères britanniques nous envoient les clients européens. » Enfin, le contrôle technique exige désormais que le compteur soit opérationnel (vitesse et distance). Voilà pourquoi les délais sont affreusement longs en ce moment. Pour conclure et éviter d’allonger les délais avec de nouveaux clients, Jean-Bastien conseille aux collectionneurs de penser à graisser leurs câbles de compteur en évitant l’huile et le WD40. « Il faut utiliser une graisse spéciale qui tient à la chaleur car un câble tourne vite (à 1000 tr/mn à 60 km/h pour une Dauphine, par exemple), mais si c’est trop fluide, ça remonte jusque dans les compteurs et ça peut être une catastrophe. »
« Quand un client trouve que “c’est cher”, on lui explique ce qu’on fait. Tout d’un coup, il réalise que ce n’est pas si onéreux ! »