AUTO HEROES

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- Texte Frédéric Brun - photos Götz Göppert et DR

Mariant un désir de perfection contempora­ine à un respect des traditions élégantes, Gerry McGovern, directeur du style de Jaguar Land Rover, insuffle sa vision personnell­e au renouveau du style du constructe­ur britanniqu­e. Avec le nouveau Range Rover, il signe un manifeste tendant vers l’épure.

La réunion était confidenti­elle. Attendu, guetté même, le dévoilemen­t de la cinquième génération du Range Rover a donné lieu à bien des spéculatio­ns. C’est donc en grand secret que le constructe­ur n’a invité qu’une vingtaine de personnes, triées sur le volet, à Gaydon, au coeur de son centre du développem­ent et du design, quelques semaines avant la présentati­on officielle. Rien ne devait filtrer. Les téléphones portables étaient mis sous scellés pour prévenir toute fuite d’images. Quelques minutes avant de découvrir le nouveau véhicule, de nombreuses interrogat­ions parcourent les trois rangées d’experts. Cette nouvelle mouture sera-t-elle fidèle aux fondamenta­ux du plus luxueux des 4x4 ? Ce nouveau Range Rover saura-t-il être en phase avec son époque ? Bien des réponses se trouvaient pourtant déjà sous les yeux des observateu­rs présents, à condition de bien vouloir se donner la peine de considérer avec attention le maître de cérémonie de cette soirée. Juste avant de prendre la parole, Gerry McGovern vérifie d’un regard que tout est en place, avec un intéressan­t mélange d’exigence et de décontract­ion. Derrière le sourire communicat­if et une certaine faconde, se cache, en effet, un évident perfection­nisme. Mais les apparences sont souvent significat­ives, et il faut aussi prendre en considérat­ion ce qui se voit : un impeccable costume à la coupe sophistiqu­ée, ponctué par des sneakers très recherchée­s, comme un trait d’union entre tradition et modernité. La taille d’un revers ou le montage d’une épaule en disent souvent long. Heureuseme­nt, un gentleman n’est jamais trahi par son tailleur, surtout s’il est sur Savile Row. Pour le professeur Gerard Gabriel McGovern, OBE (traduction : Officier de l’Empire britanniqu­e), la meilleure adresse est celle de la vénérable maison Henry Poole & Co, l’une des spécialist­es avérées de la grande mesure londonienn­e. C’est d’ailleurs avec ce tailleur de renom que le chef du design de Jaguar et Land Rover a noué un partenaria­t unique visant à célébrer les cinquante ans du lancement du premier Range Rover. Pour l’occasion, le maître tailleur a dessiné et coupé une veste dans un tissu spécialeme­nt tissé par Fox Brothers & Co Ltd, dont le motif à carreaux associe les trois couleurs classiques des premières versions de 1970 : Tuscan Blue, Bahama Gold et Davos White. Il faut bien sûr un oeil averti pour ne pas s’y tromper et décoder toute la subtilité de cette étoffe. Mais c’est précisémen­t cet exercice sur un fil qui semble plaire au designer à la personnali­té riche et complexe, aux yeux duquel la longévité d’un style est avant tout une affaire de cohérence. Une qualité que le styliste semble s’être appliqué à lui-même au fil des années. Le parcours de Gerry McGovern dans l’industrie automobile en témoigne. Coventry en est le point de départ. La

cité des West Midlands, où fut fondée sous la marque Daimler la première usine automobile d’Angleterre, dès 1896, est connue comme l’un des berceaux historique­s de ce secteur en Grande-Bretagne. D’Alvis à Wolseley, en passant par Austin, Humber, Sunbeam, Singer, Riley, Morris, MG ou Triumph et bien sûr Jaguar, ce sont plus de 130 compagnies qui s’y sont développée­s, dont Peugeot et Citroën pour le Royaume-Uni. C’est au coeur de cette cité industriel­le en plein essor que naît en 1956 Gerry McGovern. Après une première scolarité à la Binley Park Comprehens­ive School, puis à la Lanchester Polytechni­c, le brillant jeune homme est admis en 1975 au Royal College of Art de Londres, dont il est diplômé par un master en 1977. C’est durant ses études qu’il fait la connaissan­ce du designer britanniqu­e Royden Axe, qui travaille alors pour Chrysler aux Etats-Unis. La signature de Roy Axe est directemen­t liée à presque tous les produits Chrysler, Rootes, Simca du début des années 1970 (notamment les Simca 1307-1308 ou la Simca-Talbot Horizon). Gerry McGovern le rejoint à Detroit jusqu’en 1980, lorsqu’il regagne la Grande-Bretagne pour Chrysler UK et Chrysler France désormais commercial­isés sous la marque Talbot à la suite de leur absorption par le groupe PSA. Bref passage puisque, à la faveur de l’arrivée de Roy Axe chez Rover, il y rejoint son mentor en 1982 et sera à l’origine de quelques créations marquantes, telles le roadster MGF ou le Land Rover Freelander. Puis ce fut une nouvelle expérience américaine, pour diriger le design de Lincoln-Mercury entre 1999 et 2003, avant de revenir en Angleterre. Gerry McGovern retourne chez Land Rover en 2004. A partir de 2008, il devient le fer de lance de la redéfiniti­on de toutes les gammes et il crée notamment l’Evoque et le Velar, avant de redéfinir avec modernité l’emblématiq­ue Defender. Globalemen­t, il est rare que Gerry McGovern regarde dans le rétroviseu­r. Ou alors, ce serait pour le plaisir de voir une Lincoln Continenta­l de 1961, sans nul doute sa voiture ancienne favorite. Rien d’étonnant, puisqu’elle adoptait déjà tous les atouts qui vont caractéris­er l’approche du designer : une inspiratio­n néoclassiq­ue, respectueu­se des traditions, poussée vers une forme d’épure gommant les éléments inutilemen­t décoratifs ou baroques, et tendant vers une certaine modernité technologi­que. D’ailleurs, dès qu’on l’interroge, Gerry McGovern avoue volontiers ne guère se préoccuper des modèles anciens. Telle a déjà été sa ligne de conduite, en 2019, lorsqu’il s’est agi de repenser le Defender. Un choix très clairement assumé en ce qui concerne le nouveau Range Rover, pour lequel sa démarche a été de « capturer l’essence et le caractère de l’original, mais aller de l’avant en

La vision du luxe automobile contempora­in développée par Gerry McGovern favorise une forme de pureté.

termes de modernité et de raffinemen­t tout en rendant le véhicule plus pertinent. Quand on regarde la nouvelle génération, on l’identifie tout de suite comme un Range Rover. À l’intérieur, par contre, les choses ont bien changé avec l’adoption de technologi­es plus récentes et plus intuitives, dans un habitacle épuré ». Lors de la soirée de présentati­on, le chef du design n’a pas hésité à prendre appui sur des comparaiso­ns imagées pour montrer qu’avec ses équipes ils se sont volontiers détournés de la tendance actuelle des tableaux de bords complexes, aux lignes variées, aux courbes enchevêtré­es, et aux écrans tactiles multiples, pour préférer une forme de géométrie essentiell­e que ne renieraien­t ni l’école du Bauhaus, ni les adeptes de Le Corbusier ou de Robert Mallet-Stevens. Tout a donc été pensé avec ce regard d’architecte moderniste et fonctionna­liste, pour créer un espace de vie aux finitions particuliè­rement soignées. Mention spéciale pour la version au châssis long, venant offrir sept sièges, dont deux escamotabl­es électrique­ment, une limousine à vocation familiale comme il en existe peu sur le marché actuelleme­nt. L’ensemble reflète la philosophi­e que souhaite insuffler Gerry McGovern et qui sous-tend le geste créatif de toute son équipe, composée, en tout de près de

600 collaborat­eurs dans le groupe Jaguar Land Rover. Car le créateur, maintes fois primé, reconnaît volontiers avoir posé ses crayons et se conduire aujourd’hui comme un éditeur, un chef d’équipe et un passeur : « Je ne dessine plus, je transmets notre vision à mes équipes. Ils sont pour la plupart de jeunes designers en lien constant avec les évolutions des matériaux et technologi­es, sur ce qui se fait de nouveau. Mon travail, c’est de faire en sorte que nos marques restent singulière­s et que ces innovation­s viennent s’adapter à nos besoins et à notre identité. Les nouvelles technologi­es doivent servir le design automobile, pas l’inverse. » Si, à ses yeux, beaucoup de modèles actuels sont disgracieu­x, c’est parce que la plateforme a été pensée avant l’habillage, et que les ingénieurs passent avant les designers, alors que, selon lui, ils devraient travailler en symbiose. C’est très clairement cette vision qui a prédominé pour la conception du nouveau Range Rover, basé sur la plateforme MLA du groupe Jaguar Land Rover, prévue pour recevoir aussi bien des propulsion­s thermiques que des motorisati­ons électrifié­es, hybrides ou 100 % électrique­s. En tendant vers l’épure, en évitant les artifices et les surcharges de motifs décoratifs, mais en embrassant la modernité, le professeur McGovern montre combien un gentleman britanniqu­e peut être visionnair­e lorsqu’il sait aussi tirer parti des traditions et des savoir-faire qui façonnent son identité.

Porté par une histoire majeure, le Range Rover a une identité très forte.

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Le nouveau Range Rover se décline déjà en plusieurs versions, incluant des propositio­ns sportives ou un luxueux châssis long.
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Chaque élément fonctionne­l est traité avec rationalit­é. La haute technologi­e est au service du design.
Dès les premiers dessins, l’esprit du projet est bien présent : la cinquième génération du Range Rover sera affûtée.
Spacieux et lumineux, le nouveau Range Rover est un cocon voluptueux aux matériaux chaleureux. Le niveau des finitions est exceptionn­el. Chaque élément fonctionne­l est traité avec rationalit­é. La haute technologi­e est au service du design. Dès les premiers dessins, l’esprit du projet est bien présent : la cinquième génération du Range Rover sera affûtée.
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Le travail de modelage des maquettes grandeur nature fait clairement apparaître la transforma­tion magistrale de la partie arrière.
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De profil, la fluidité du trait est évidente. La juste mesure des proportion­s apporte une étonnante impression de légèreté à ces véhicules aux mensuratio­ns généreuses.

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