Votez McGovern !
Mariant un désir de perfection contemporaine à un respect des traditions élégantes, Gerry McGovern, directeur du style de Jaguar Land Rover, insuffle sa vision personnelle au renouveau du style du constructeur britannique. Avec le nouveau Range Rover, il signe un manifeste tendant vers l’épure.
La réunion était confidentielle. Attendu, guetté même, le dévoilement de la cinquième génération du Range Rover a donné lieu à bien des spéculations. C’est donc en grand secret que le constructeur n’a invité qu’une vingtaine de personnes, triées sur le volet, à Gaydon, au coeur de son centre du développement et du design, quelques semaines avant la présentation officielle. Rien ne devait filtrer. Les téléphones portables étaient mis sous scellés pour prévenir toute fuite d’images. Quelques minutes avant de découvrir le nouveau véhicule, de nombreuses interrogations parcourent les trois rangées d’experts. Cette nouvelle mouture sera-t-elle fidèle aux fondamentaux du plus luxueux des 4x4 ? Ce nouveau Range Rover saura-t-il être en phase avec son époque ? Bien des réponses se trouvaient pourtant déjà sous les yeux des observateurs présents, à condition de bien vouloir se donner la peine de considérer avec attention le maître de cérémonie de cette soirée. Juste avant de prendre la parole, Gerry McGovern vérifie d’un regard que tout est en place, avec un intéressant mélange d’exigence et de décontraction. Derrière le sourire communicatif et une certaine faconde, se cache, en effet, un évident perfectionnisme. Mais les apparences sont souvent significatives, et il faut aussi prendre en considération ce qui se voit : un impeccable costume à la coupe sophistiquée, ponctué par des sneakers très recherchées, comme un trait d’union entre tradition et modernité. La taille d’un revers ou le montage d’une épaule en disent souvent long. Heureusement, un gentleman n’est jamais trahi par son tailleur, surtout s’il est sur Savile Row. Pour le professeur Gerard Gabriel McGovern, OBE (traduction : Officier de l’Empire britannique), la meilleure adresse est celle de la vénérable maison Henry Poole & Co, l’une des spécialistes avérées de la grande mesure londonienne. C’est d’ailleurs avec ce tailleur de renom que le chef du design de Jaguar et Land Rover a noué un partenariat unique visant à célébrer les cinquante ans du lancement du premier Range Rover. Pour l’occasion, le maître tailleur a dessiné et coupé une veste dans un tissu spécialement tissé par Fox Brothers & Co Ltd, dont le motif à carreaux associe les trois couleurs classiques des premières versions de 1970 : Tuscan Blue, Bahama Gold et Davos White. Il faut bien sûr un oeil averti pour ne pas s’y tromper et décoder toute la subtilité de cette étoffe. Mais c’est précisément cet exercice sur un fil qui semble plaire au designer à la personnalité riche et complexe, aux yeux duquel la longévité d’un style est avant tout une affaire de cohérence. Une qualité que le styliste semble s’être appliqué à lui-même au fil des années. Le parcours de Gerry McGovern dans l’industrie automobile en témoigne. Coventry en est le point de départ. La
cité des West Midlands, où fut fondée sous la marque Daimler la première usine automobile d’Angleterre, dès 1896, est connue comme l’un des berceaux historiques de ce secteur en Grande-Bretagne. D’Alvis à Wolseley, en passant par Austin, Humber, Sunbeam, Singer, Riley, Morris, MG ou Triumph et bien sûr Jaguar, ce sont plus de 130 compagnies qui s’y sont développées, dont Peugeot et Citroën pour le Royaume-Uni. C’est au coeur de cette cité industrielle en plein essor que naît en 1956 Gerry McGovern. Après une première scolarité à la Binley Park Comprehensive School, puis à la Lanchester Polytechnic, le brillant jeune homme est admis en 1975 au Royal College of Art de Londres, dont il est diplômé par un master en 1977. C’est durant ses études qu’il fait la connaissance du designer britannique Royden Axe, qui travaille alors pour Chrysler aux Etats-Unis. La signature de Roy Axe est directement liée à presque tous les produits Chrysler, Rootes, Simca du début des années 1970 (notamment les Simca 1307-1308 ou la Simca-Talbot Horizon). Gerry McGovern le rejoint à Detroit jusqu’en 1980, lorsqu’il regagne la Grande-Bretagne pour Chrysler UK et Chrysler France désormais commercialisés sous la marque Talbot à la suite de leur absorption par le groupe PSA. Bref passage puisque, à la faveur de l’arrivée de Roy Axe chez Rover, il y rejoint son mentor en 1982 et sera à l’origine de quelques créations marquantes, telles le roadster MGF ou le Land Rover Freelander. Puis ce fut une nouvelle expérience américaine, pour diriger le design de Lincoln-Mercury entre 1999 et 2003, avant de revenir en Angleterre. Gerry McGovern retourne chez Land Rover en 2004. A partir de 2008, il devient le fer de lance de la redéfinition de toutes les gammes et il crée notamment l’Evoque et le Velar, avant de redéfinir avec modernité l’emblématique Defender. Globalement, il est rare que Gerry McGovern regarde dans le rétroviseur. Ou alors, ce serait pour le plaisir de voir une Lincoln Continental de 1961, sans nul doute sa voiture ancienne favorite. Rien d’étonnant, puisqu’elle adoptait déjà tous les atouts qui vont caractériser l’approche du designer : une inspiration néoclassique, respectueuse des traditions, poussée vers une forme d’épure gommant les éléments inutilement décoratifs ou baroques, et tendant vers une certaine modernité technologique. D’ailleurs, dès qu’on l’interroge, Gerry McGovern avoue volontiers ne guère se préoccuper des modèles anciens. Telle a déjà été sa ligne de conduite, en 2019, lorsqu’il s’est agi de repenser le Defender. Un choix très clairement assumé en ce qui concerne le nouveau Range Rover, pour lequel sa démarche a été de « capturer l’essence et le caractère de l’original, mais aller de l’avant en
La vision du luxe automobile contemporain développée par Gerry McGovern favorise une forme de pureté.
termes de modernité et de raffinement tout en rendant le véhicule plus pertinent. Quand on regarde la nouvelle génération, on l’identifie tout de suite comme un Range Rover. À l’intérieur, par contre, les choses ont bien changé avec l’adoption de technologies plus récentes et plus intuitives, dans un habitacle épuré ». Lors de la soirée de présentation, le chef du design n’a pas hésité à prendre appui sur des comparaisons imagées pour montrer qu’avec ses équipes ils se sont volontiers détournés de la tendance actuelle des tableaux de bords complexes, aux lignes variées, aux courbes enchevêtrées, et aux écrans tactiles multiples, pour préférer une forme de géométrie essentielle que ne renieraient ni l’école du Bauhaus, ni les adeptes de Le Corbusier ou de Robert Mallet-Stevens. Tout a donc été pensé avec ce regard d’architecte moderniste et fonctionnaliste, pour créer un espace de vie aux finitions particulièrement soignées. Mention spéciale pour la version au châssis long, venant offrir sept sièges, dont deux escamotables électriquement, une limousine à vocation familiale comme il en existe peu sur le marché actuellement. L’ensemble reflète la philosophie que souhaite insuffler Gerry McGovern et qui sous-tend le geste créatif de toute son équipe, composée, en tout de près de
600 collaborateurs dans le groupe Jaguar Land Rover. Car le créateur, maintes fois primé, reconnaît volontiers avoir posé ses crayons et se conduire aujourd’hui comme un éditeur, un chef d’équipe et un passeur : « Je ne dessine plus, je transmets notre vision à mes équipes. Ils sont pour la plupart de jeunes designers en lien constant avec les évolutions des matériaux et technologies, sur ce qui se fait de nouveau. Mon travail, c’est de faire en sorte que nos marques restent singulières et que ces innovations viennent s’adapter à nos besoins et à notre identité. Les nouvelles technologies doivent servir le design automobile, pas l’inverse. » Si, à ses yeux, beaucoup de modèles actuels sont disgracieux, c’est parce que la plateforme a été pensée avant l’habillage, et que les ingénieurs passent avant les designers, alors que, selon lui, ils devraient travailler en symbiose. C’est très clairement cette vision qui a prédominé pour la conception du nouveau Range Rover, basé sur la plateforme MLA du groupe Jaguar Land Rover, prévue pour recevoir aussi bien des propulsions thermiques que des motorisations électrifiées, hybrides ou 100 % électriques. En tendant vers l’épure, en évitant les artifices et les surcharges de motifs décoratifs, mais en embrassant la modernité, le professeur McGovern montre combien un gentleman britannique peut être visionnaire lorsqu’il sait aussi tirer parti des traditions et des savoir-faire qui façonnent son identité.
Porté par une histoire majeure, le Range Rover a une identité très forte.