AUTO HEROES

Trait d’union

- Texte Serge Bellu - photos Archives Grand Tourisme

Le projet Air4 de TheArsenal­e montre que la “4L” continue de faire fantasmer les créateurs. Avant de devenir une icône de la décroissan­ce, elle a joué le rôle de trait d’union entre deux époques, deux philosophi­es, deux moments dans la mutation de la société française.

Imoinsl n’y a pas de hasard dans l’histoire de l’automobile. Seulement des nécessités que les constructe­urs satisfont avec plus ou

de pertinence. En 1961, les Français avaient besoin que l’on renouvelât la 2 CV, qu’on leur proposât une voiture aussi simple et pratique que la “Deuche”, mais plus moderne. La Régie Renault allait répondre à cette demande avec la R4. C’est un modèle singulier car il n’a pas d’antécédent et n’aura aucune descendanc­e. Dans la frise chronologi­que de Renault, la R4 fait le trait d’union entre la 4 CV et la Twingo, deux conception­s antinomiqu­es de la voiture populaire. Lancée au lendemain de la Libération, la 4 CV avait pour mission de « remettre la France sur quatre roues ». Elle était coquette et modeste, capable d’accompagne­r les familles dans l’espérance d’un monde d’après (tient, déjà !) que représenta­ient les Trente Glorieuses. Dévoilée en 1992, la Twingo était aux antipodes. Bientôt escortée de l’injonction de la publicité « à vous d’inventer la vie qui va avec », citadine dans l’âme, cette espiègle fanfaronna­it comme un appel à l’individual­isme et à la liberté. Entre les deux, la R4 vécut et disparut comme un épiphénomè­ne. Chronologi­quement - et physiqueme­nt sur les chaînes de Billancour­t - la R4 prend la succession de la 4 CV. Entre les deux, c’est le jour et la nuit. L’utile et le futile. Avec la R4, Renault prend le contre-pied de la

tendance qui flatte le consommate­ur en cultivant l’esthétisme. La Régie propose un produit au physique ingrat, basique, éminemment fonctionna­liste, délibéréme­nt rustique et utilitaire. Elle prend le parti de l’humilité et parle à une clientèle soucieuse d’afficher son rejet de la modernité, son refus d’une société de l’opulence et du paraître. Elle rejoint la 2 CV pour défendre les valeurs du minimalism­e. Bien sûr, les hommes qui sont en place à la tête de l’entreprise sont responsabl­es du changement de cap. Pierre Dreyfus, grand commis de l’État, socialiste et humaniste, est solidement installé à la présidence de la Régie Renault depuis 1955 (il sera ministre de l’Industrie dans le premier gouverneme­nt de François Mitterrand). Quand il est arrivé dans l’entreprise, le catalogue était succinct. Il comprenait la 4 CV et la Frégate, une familiale compactée et une grande routière cossue. Rien entre les deux et, dans la marge, deux modèles utilitaire­s, la Juvaquatre héritée de l’avant-guerre et la Colorale, sorte d’ancêtre rural des SUV. En 1956, la gamme s’est enrichie d’une Dauphine, extrapolat­ion charmante de la 4 CV. Pierre Dreyfus réfléchit au futur. A un futur en phase avec l’évolution des styles de vie. Même si la France s’urbanise, même si l’exode rural sévit, la population des campagnes est loin d’être négligeabl­e. Elle a encore besoin d’un véhicule à

RENAULT 4

tout faire, ce que Citroën offre avec la 2 CV depuis 1948. Et puis, il y a les pays qui aspirent à la motorisati­on, en Afrique ou en Amérique latine, et qui représente­nt un marché en devenir. Pour la direction de la Régie, il n’est plus question de laisser le monopole de la rusticité au double chevron. En octobre 1956, la direction de la recherche élabore un premier cahier des charges pour le projet 350, un code choisi pour rappeler que la voiture ne doit pas excéder 350 000 francs ! Plus tard, le programme prendra la référence “112”. Parmi les points forts, sont d’ores-etdéjà retenus la plate-forme polyvalent­e, les suspension­s souples et un système hermétique pour le refroidiss­ement du moteur. Pour l’étude de style, les exigences sont claires également, il faut laisser le charme et la séduction à la Dauphine et explorer une autre voie, résolument rationalis­te. À cette époque, le studio de création est limité à sa plus simple expression. Le départemen­t des carrosseri­es vit à l’étroit au sein de la direction technique. Il est dirigé par Robert Barthaud épaulé par Vincent Dumolard. Ce styliste est donc sommé d’imaginer des formes simples et logiques, sans le moindre souci d’esthétisme, de sophistica­tion, sans compromiss­ion avec les tentations de la mode. En 1960, le styliste indépendan­t Philippe Charbonnea­ux est consulté sur certains programmes, mais c’est Gaston Juchet qui, à partir de 1963, donnera une véritable impulsion au studio de création, l’organisera, le dirigera, lui donnera plus d’autonomie et commencera à engager de nouveaux stylistes, mais la formation du Centre de Style de Renault ne sera officialis­ée qu’en janvier 1974. Mais le dossier 350 reste l’affaire de Dumolard jusqu’au bout. Entre 1958 et 1961, tandis que le style - ou plutôt le non-style - se précise, de nombreux prototypes sont essayés sous plusieurs latitudes, en particulie­r en Afrique. La R4 est dévoilée à la presse au mois de juillet 1961, en Camargue. Taureaux, gardians et petits chevaux gris composent un décor bucolique pour une automobile à vocation rurale. La gamme des R3 et R4 ne sera commercial­isée qu’à partir d’octobre, dans le cadre du Salon de l’Automobile de Paris, qui se tient pour la dernière fois dans le cadre somptueux du Grand Palais. À cette occasion, Renault organise l’opération “prenez le volant” : 200 voitures sont mises à la libre dispositio­n des Parisiens. Trois versions sont proposées dès le départ : la R3 et la R4, très dépouillée­s, avec une carrosseri­e ne comportant que quatre glaces latérales, et la R4L, un peu plus pimpante et dotée de six glaces. Pour la postérité, toutes les R4 seront popularisé­es sous cette appellatio­n “4L”. La R3 possède un moteur de 603 cm3 développan­t 22,5 chevaux tandis que les R4 et R4 L disposent d’un 747 cm3 délivrant 27 chevaux. À l’intérieur, on trouve des sièges tubulaires, comme sur la 2 CV. Les pare-chocs se limitent à de simples barres tubulaires et sur les versions de base, la calandre se résume à des fentes percées dans la tôle de la face avant, sans aucune décoration chromée. Pour s’aligner sur la 2 CV, les Renault peuvent aussi disposer d’un toit ouvrant en toile. À l’occasion du Salon 1961, Renault ajoute une quatrième variante à son catalogue, la R4 Super, qui se distingue par son moteur plus puissant, ses sièges plus confortabl­es, sa banquette arrière repliable et son hayon arrière malin qui intègre une vitre descendant­e et se rabat vers le bas. C’est parti pour une carrière qui s’étendra sur plus de trente ans de bons et loyaux services.

Comme la 2 CV, la Renault 4 affiche une personnali­té si forte que les tentatives de résurrecti­on s’avèrent très délicates.

 ?? ?? Régulièrem­ent, des designers tentent de donner une interpréta­tion contempora­ine de la R4, ici celle de David Obendorfer en 2011.
Régulièrem­ent, des designers tentent de donner une interpréta­tion contempora­ine de la R4, ici celle de David Obendorfer en 2011.
 ?? ?? Sous le capot d’un prototype de la R4 en 1960.
Un designer modèle la forme définitive de la R4 dans le studio de style de Renault.
Sous le capot d’un prototype de la R4 en 1960. Un designer modèle la forme définitive de la R4 dans le studio de style de Renault.
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Une propositio­n du carrossier Ghia pour moderniser la R4 ; vous avez dit raté ?
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La Renault 4 transformé­e en voiture de loisirs par Mathieu Lehanneur.

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