AUTO HEROES

Le premier amour de Bullit

Il l’a tellement aimée qu’il l’a gardée jusqu’à sa mort. Voici l’histoire d’amour qu’a vécue la star immortelle Steve McQueen avec la Jaguar XKSS. Première supercar de l’histoire de l’automobile. Deux icônes pour une légende.

- texte François Tauriac - photos Petersen Museum et Alamy

Rien n’arrête une Jaguar, même pas les freins. » La vieille antienne rabâchée par les détracteur­s de la marque semble n’avoir jamais ef euré Steve McQueen. La star de cinéma a possédé en effet l’un des plus beaux modèles - et en tout cas un des plus rares - de toute l’histoire de la rme, l’XKSS. Flashback, 12 février 1957, un incendie dévore une partie des bâtiments de l’usine Jaguar à Browns Lane, Coventry. Le feu ravage des centaines de voitures MK1, MK7, détruisant au passage neuf XKSS construite­s pour des clients nord-américains. Une XKSS, c’est quelque chose d’unique, la version routière de la Type D rendue célèbre par ses triomphes aux 24 Heures du Mans en 1955, 1956 et 1957. C’est le patron de Jaguar lui-même, Sir William Lyons, qui a l’idée de fabriquer cette merveille sur les bases des 25 Type D de course restantes et invendues. Il faut dire qu’en 1958 les règlements de compétitio­n sont moins favorables. Ils exigent désormais des moteurs de 3,0 litres plus petits, ce qui avantage des marques comme Ferrari. L’usine se met donc au travail pour convertir les bêtes de course en voitures de super tourisme. La première XKSS à toucher le sol américain est livrée en Californie. Elle est achetée neuve par le patron du Riverside Raceway, un circuit de course qui accueille entre autre le Grand Prix du Los Angeles Times, épreuve réservée aux voitures de sport GT et Sport-prototypes. Très vite, il cède la voiture de sport à Bill Leyden,une célébrité hyper populaire qui anime le jeux télé It Could Be You sur NBC. Le JeanPierre Foucault de l’époque a eu le dernier mot. Et sa Jaguar est unique. Mais elle n’a qu’un lointain cousinage avec la voiture de compétitio­n.

Pour la civiliser, Coventry a “decoursi é” la bête de circuit. Elle a supprimé les sautes-vent Brooklands, pour les remplacer par un pare-brise panoramiqu­e et enveloppan­t avec “side screens” latérales. Elle a fait sauter aussi la séparation, rivetée aviation, entre le passager et le conducteur ; apprivoise­r quelque peu les échappemen­ts ; raser la célèbre dérive de queue en nageoire dorsale de requin et même réutiliser les blocs de feux arrière du XK140 montés plus haut sur les ailes. A Coventry, on veut tellement civiliser l’XKSS qu’on surmonte la malle arrière d’une galerie porte-bagages genre TR3. Shocking ! On travaille aussi l’éclairage, les clignotant­s et la “sécurité” en affublant la jolie bouche du capot de deux moustaches de pare-chocs qui pré gurent les bacchantes de la Type E. Bill est ravi. Sa jaguar est magni que. Son jeu télé fait un carton. Comme d’ailleurs la série Au Nom de la Loi grâce à laquelle Steve McQueen s’est fait connaître. Bill invite donc le chasseur de primes le plus connu des Etats-Unis sur son plateau. Joss Randall n’a pas les yeux dans sa poche et il repère immédiatem­ent la Jaguar sur

Joss Randall n’a pas les yeux dans sa poche, il repère immédiatem­ent la Jaguar sur le parking des studios de Sunset Boulevard.

le parking en sortant des studios de Sunset Boulevard. Dès cet instant, il n’a plus qu’un but, racheter la bête à sa populaire fréquentat­ion. Leyden finit par accepter de la lui céder pour 5 000 dollars, soit l’équivalent de 50 000 euros d’aujourd’hui. C’est la femme de McQueen qui lui avance la somme. Bien sûr, Steve adule la puissance de son 6 cylindres 3,4 litres, ses trois carburateu­rs Weber 45 DCO3 (moulés au sable, tous numérotés individuel­lement), sa culasse “wild angle Type C” et ses 250 chevaux, même si c’est une conduite à droite. Mais il est moins emballé par sa couleur. Elle est blanche “OEW Old english white”, intérieur rouge. Alors, McQueen va commettre un crime de lèse-majesté, il décide de faire repeindre son XKSS. Le résultat est plutôt réussi. La star choisit évidemment une couleur très classe, un vert sombre, British Racing Green très en vogue à l’époque sur les MK2. Teinte qui n’est pas sans rappeler celle de la Ford Mustang Highland Green que McQueen conduira dix ans plus tard dans Bullitt.

Dire que Steve ne vit désormais que pour sa nouvelle conquête est un euphémisme. Il passe son temps à la bichonner. On le voit s’en occuper entre deux prises sur le tournage de sa série télé, affublé de sa Winchester canon court, collée sur la jambe droite de son pantalon de cowboy. Il promène même son cheval en le tirant par ses rênes de l’habitacle de sa chère Jag ! Il l’aime tellement qu’il lui donne le surnom affectueux de “green rat”, peut-être en réponse au surnom “little bastard” que donna James Dean à sa Porsche. Mais le changement de couleur ne suffit pas, il fait également personnali­ser l’habitacle. C’est Tony Nancy, célèbre hot-rodder californie­n qui retapisse le “rat vert” de McQueen en cuir noir. Quant à son ami Kenny Howard, alias “Von Dutch”, il va même lui créer une boîte à gants personnali­sée à trappe verrouilla­ble pour renfermer ses Persol pliables modèle 714. Il n’a pas besoin de lunettes de soleil pour se “tirer des bourres” la nuit avec ses amis sur Mulholland Drive. Régulièrem­ent, McQueen grimpe et

dévale les 38 km de cette route montagneus­e mythique à tombeau ouvert, en faisant résonner la vallée des montées en régime de son 6 cylindres. Des performanc­es qui terrorisen­t les riverains mais surtout qui énervent passableme­nt le shérif de la police de Los Angeles qui va promettre à ses troupes un dîner de gala à qui attrapera la star en flagrant délit d’excès de vitesse.

Steve passe pourtant entre les gouttes. Mais en 1959, la star est “enfin” arrêtée. Par chance, c’est son épouse qui occupe ce jour-là la place de copilote. Neile Adams est enceinte de six mois du fils de McQueen, Chad. L’acteur ment aux policiers en expliquant qu’elle est en train d’accoucher. Il est si convaincan­t que la police de LA décide de l’escorter jusqu’à l’hôpital. Pas facile d’expliquer au personnel médical qu’il s’agit d’un “faux” accoucheme­nt destiné à éviter une amende. Steve se souviendra longtemps des quolibets furieux que lui distillera la future maman sur le chemin du retour. McQueen en a eu des autos dans son existence, des Porsche, des Rolls, des Lotus, des Ferrari... mais il va garder son XKSS jusqu’à sa mort en 1980. Malgré les protestati­ons de Chad, son fils, âgé alors de vingt ans, la précieuse “Green Rat” - chassis n° 713, immatricul­ation California JNH 809 - est donc vendue en 1986. C’est Richard Freshman, ancien voisin de McQueen à Hollywood Hills, qui se l’offre pour 148 000 dollars, soit à peu près 330 000 euros d’aujourd’hui. Une broutille.

Il va charger la société britanniqu­e Lynx Motors de remettre la Jaguar en état. La firme en connaît un rayon sur les Jag. Cela fait des années qu’elle les restaure. Elle fabrique même des copies hyper exactes et un break de chasse unique sur base XJS. L’entreprise réalise donc une magnifique restaurati­on, en respectant évidemment les modificati­ons apportées par McQueen, y compris la sellerie personnali­sée. Tout est conservé d’origine. Même le volant D-Type trois branches en hêtre à quinze trous et à neuf rivets. Depuis 2000, “Green rat” coule des jours paisibles au Petersen Automotive Museum de Los Angeles, un véritable temple dédié aux automobile­s de stars qu’ont fait construire Margie and Robert E. Petersen, deux passionnés fous de voitures anciennes. Toujours campée sur ses roues Dunlop en alliage de magnésium à moyeux centraux et ses Dunlop Racing CR65 (McQueen l’équipa un temps en Pirelli Cinturado), elle fait de courtes sorties aux mains d’essayeurs vedettes comme Jay Leno, la star télé. Il paraît qu’elle démarre au quart de tour. Les spécialist­es estiment sa valeur entre quarante et cinquante millions d’euros. Elle n’est pour l’instant pas à vendre. Mais si elle l’est un jour, on peut espérer que les Persol de Steve seront peut-être dans la boîte à gants. Ce serait un beau geste pour le prix.

Depuis 2000, “green rat” coule des jours paisibles au Petersen Museum de L.A, un véritable temple dédié aux automobile­s de stars.

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Type D des villes et gueule de star, seulement seize exemplaire­s de l’XKSS seront fabriqués.
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Carrosseri­e alu rivetée aviation, moteur 6 cylindres en ligne 3.4 - 250 chevaux, l’XKSS ne pesait que 921 kg et pouvait atteindre les 240 km/h… exclusivem­ent sur route.
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250 chevaux pour promener son cheval.
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