AUTO HEROES

Gentleman driver

Volvo P1800, Aston Martin DBS, Lotus Esprit… Si la carrière de Roger Moore est parsemée de véhicules aussi mythiques que les rôles qui l’ont rendu célèbre, du Saint à 007 en passant par Lord Sinclair, le comédien appréciait aussi, à titre privé, les belle

- texte Jean-François Rivière - photos Eric Skipsey & Getty

En 1958, alors qu’il vient de se faire renvoyer de la MGM après une série de bides au box-office, le jeune Roger Moore signe un nouveau contrat de sept ans avec la MGM. Fort du succès de la série Ivanohé, le comédien vit maintenant à Los Angeles avec sa seconde épouse, la chanteuse Dorothy Squires, et l’avenir semble radieux avec deux nouvelles séries télévisées dans les tuyaux, The Alaskans et Maverick. Alors qu’en Angleterre une modeste Ford Zodiac le véhiculait quotidienn­ement à travers la brume jusqu’aux studios d’Elstree où il tournait Ivanohé, Moore va monter en gamme et s’offrir, pour ses déplacemen­ts dans Los Angeles, une Jaguar XK 150. Coqueluche des stars dès l’apparition de la XK 120 au Salon de Earls Court en 1948, le modèle et ses évolutions, XK 140 et XK 150, vont séduire bon nombre de célébrités jusqu’à l’arrêt de la production en 1961. Jane Mansfield, Robert Mitchum et le couple Lauren Bacall / Humphrey Bogart ne résisteron­t pas, tout comme Clark Gable qui avouera, en prenant possession du premier exemplaire importé aux Etats-Unis en 1949, l’avoir désirée « comme un enfant désire des sucreries ». En France aussi, le six cylindres double arbre à came et les lignes harmonieus­es imaginées par le boss de Jaguar, William Lyons, vont séduire notamment Françoise Sagan, une connaisseu­se. « Je la conduisais fièrement tous les matins pour me rendre aux Studios de Burbank », se souvient le futur James Bond dans ses mémoires. À son bord, le couple Moore se rendra aux nombreuses soirées de la vie mondaine d’Hollywood, festoyant à Beverly Hills ou sur les hauteurs de L.A. avec des compatriot­es expatriés tels que David Niven ou Stewart Granger tandis que, pendant la semaine, on trouvera la XK sur le parking de Burbank, sur l’emplacemen­t enfin réservé à “Mr Moore”. Mais voilà, le roadster blanc à capote noire (OTS “open two seater”) s’avère capricieux. Régulièrem­ent, la XK 150 toussote, cale et ne repart plus. Alors que Steve McQueen n’hésitait pas à plonger dans les entrailles de ses bolides au premier cafouillag­e, Roger Moore est moins téméraire et préfère s’en remettre à l’homme de l’art pour l’entretien de son Anglaise. Après avoir sollicité plusieurs fois la concession Jaguar sur Hollywood Boulevard, la XK 150 n’est toujours pas fiable. « Un jour, en fin d’après-midi, juste avant la fermeture, raconte Moore, j’ai réussi à la faire rentrer dans la concession dont l’atelier se trouvait au premier étage. On m’a dit de ne pas la laisser là car personne n’aurait le temps de s’en occuper avant un ou deux jours. J’étais furieux. Je me suis alors inspiré de Stewart Granger et de son côté “je suis une p... de star du cinéma” et j’ai répondu à l’employé : “Je vais vous dire ce que je vais faire. Je vais foncer à travers votre vitrine et je vais laisser la voiture au milieu du boulevard. Je suis sûr que dans la presse, on adorera savoir que j’ai fait cela parce que vous ne voulez pas la réparer”. » La Jaguar sera finalement prise en charge et, bien que ne recommanda­nt pas ce type de comporteme­nt en cas de litige, le comédien préconise toutefois « de le garder à l’esprit au cas où vous vous trouveriez éconduit ». Hormis une des premières XJS V12 dans le film Les Oies Sauvages (Andrew V. MacLaglen, 1978), on ne reverra jamais Moore au volant d’une Jaguar. En Angleterre, où il est revenu s’installer au début des années soixante après un western et deux nanars

italiens, Moore va rapidement oublier la XK 150 au volant de la Volvo P1800 blanche qu’il conduit quotidienn­ement dans la série qui fera sa gloire, Le Saint, jusqu’en 1968. Propriétai­re des trois différents modèles successive­ment utilisés dans la série, Moore les utilise à titre personnel en prenant soin de bien enlever la plaque d’immatricul­ation personnali­sée ST1 du Saint, lorsqu’il quitte les studios le soir après le tournage. Dans les années 70, sa famille s’agrandit, un Range Rover est commandé pour le chalet suisse de Gstaad et une Mercedes 280 prend ses quartiers dans l’immense demeure de Denham, près des studios anglais de Pinewood où Moore tourne les James Bond. C’est d’ailleurs dans ces mêmes studios que lui sera livrée une des toutes nouvelles Rover SD1 couleur bronze en 1976, puis sa première Rolls-Royce, une Silver Shadow MKII acquise après moult tergiversa­tions : « Pendant le tournage de “L’espion qui m’aimait”, raconta Moore, je me suis laissé persuader de faire quelque chose que j’avais jusqu’ici toujours refusé, acheter une Rolls-Royce. J’avais toujours trouvé cela un peu ostentatoi­re mais mon comptable m’a dit : “Tu le mérites, tu l’as gagnée et en plus, tu seras ravi de transporte­r ta famille dans le luxe, la classe et le confort”. C’est juste avant Noël qu’on m’a livré à Pinewood ma belle Rolls-Royce marron.» Profitant de sa présence aux studios, Moore se fait déguiser en Père Noël avec perruque, barbe et prothèse de ventre avec le projet d’apparaître ainsi devant ses enfants durant la soirée de Noël. « Puis j’ai sauté dans ma Rolls et j’ai pris la route pour rentrer à la maison. Dès que me suis arrêté au premier feu rouge, j’ai remarqué que tout le monde me dévisageai­t. J’ai immédiatem­ent regretté d’avoir acheté cette voiture, les gens devaient se demander quelle sorte d’andouille prétentieu­se je pouvais être... Jusqu’à ce que je prenne conscience que ce que les gens regardaien­t, c’était le Père Noël au volant d’une Rolls ! » Si Roger Moore a toujours entretenu d’excellente­s relations avec Volvo après le succès colossal de la série Le Saint, un des premiers placements de produit de l’histoire, c’est surtout vers la fin de sa vie qu’il a troqué sa Bentley Mulsanne pour quelques modèles de la marque suédoise, un cabriolet C70 pour sa résidence de Monaco et un XC90 pour son chalet de Crans Montana. Toutefois, rares sont les artistes dont l’image a été aussi intimement et durablemen­t associée à une marque automobile, au point qu’à la mort de Sir Roger en avril 2017, Volvo s’est fendu d’une publicité en forme d’hommage montrant la proue évocatrice d’une P1800 et ces quelques mots : « Two Seats. Two Doors. One Heart. Broken. »

« Au premier feu rouge, j’ai remarqué que tout le monde me dévisageai­t. J’ai immédiatem­ent regretté d’avoir acheté la voiture. »

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La première P1800 du “Saint” était aussi la voiture personnell­e de Roger Moore.
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La capricieus­e Jaguar sur le parking d’une salle de sport de Beverly Hills.

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