French touch
Le “Grand Blond” a marqué l’histoire en devenant l’artisan de la première victoire d’une F1 à moteur turbo. C’était en 1979 à Dijon. Lorsque la maladie est venue brouiller ses repères, Jab’ lui faisait des pieds de nez en revivant son succès 100 % made in France. Le bâton de maréchal qu’il moulinait n’a pas suffi à l’éloigner.
Tu imagines la claque pour les Britons qui se foutaient de nous depuis deux ans ? Ils l’ont bien pris dans la tronche ce jour-là ! Une voiture française, conduite par un pilote français, équipée de pneus français et d’un moteur français fonctionnant avec de l’huile et de l’essence françaises et, pour leur clouer le bec, au Grand Prix de France... J’étais er pour l’équipe. J’ai vraiment savouré ça. En fait, c’était plus qu’une première victoire. » Le dimanche 1er juillet est resté gravé dans le disque dur de sa mémoire, avec le déroulé des plus in mes détails. Pour lui seul. Dans les derniers tours de course, en effet, les caméras du direct sont restées focalisées sur le duel de sauvages devenu légendaire entre Gilles Villeneuve au volant de la Ferrari et René Arnoux avec l’autre Renault pour le béné ce d’une place de dauphin. Loin devant, Jab’ était seul au monde. Avec près de 15 secondes de marge au passage du drapeau à damier, il emmenait au triomphe sa “théière jaune”, la veille encore objet de per des railleries. En signant sa première victoire en Grand Prix, il offrait par la même occasion à Renault son premier succès en Formule 1. Le sport automobile venait de changer d’ère. Cocardier assumé, Jean-Pierre Jabouille restera à jamais le maillon-clé de cette mutation. Une récompense majuscule pour ce pilote de talent, pinailleur et intransigeant, insatiable perfectionniste, passionné de technique, qui n’a pas reçu le retour sur investissement qu’il méritait au terme d’un parcours atypique. Entre 1975 et 1981, le Grand Blond n’a pris le départ que de 49 Grands Prix sur 55 tentatives avec, au bilan, un palmarès de six pole positions, deux victoires - Dijon 79 et Zeltweg 80 - et un méchant accident au GP du Canada 1980 où il se brisait les jambes. Dans les faits, le Français n’a donc nalement couru que trois saisons complètes dans la catégorie reine : de 1978 à 1980 dans le giron Renault. Champion d’Europe de Formule 2 en 1976 (49 courses là aussi effectivement disputées), en parallèle avec ses premières piges sporadiques chez Williams, Surtees, Tyrrell et March entre 1974 et 1977. Ses trois dernières courses pour Ligier, en 1981, n’ont eu pour effet que de plomber des statistiques déjà bien tirées vers le bas par les déboires de jeunesse des innovantes RS01 et RS10. Fils d’un architecte d’origine creusoise installé à Paris, il aimait les chiffres. Le cador en maths du Lycée Henry IV semblait promis à devenir ingénieur. Mais après une brève incursion dans la section art moderne à la Sorbonne, Jean-Pierre s’est retrouvé à Levallois-Perret dans le garage Citroën de l’ancien pilote Roger Loyer à vendre des automobiles. Une passerelle pour nancer sa dévorante passion. Lors d’une interview par l’ORTF en 1965 au volant d’une berlinette Alpine, ses propos témoignaient d’une farouche détermination. « Pour moi, la voiture c’est tout, af rmait le jeune homme de 22 ans. C’est presque ma seule raison de vivre. Je fais énormément de sacri ces. Je ne sors pratiquement pas, car tout l’argent que je gagne passe dans les voitures. Et même avec ça, j’ai
beaucoup de mal à y arriver. » Un an plus tard, il mettait le pied à l’étrier en s’inscrivant à la coupe Gordini. La première marche d’une longue carrière multiforme. Encouragé par des débuts prometteurs, attiré par le circuit, il a poursuivi son ascension en monoplace, de la F3 à la F1, mais aussi en endurance sous les couleurs de Matra et d’Alpine, puis de Sauber-Mercedes et Peugeot Talbot Sport par la suite. À son compteur : quatre podiums en treize participations aux 24 Heures du Mans et aussi l’unique et prémonitoire victoire de l’Alpine A441T aux 1 000 Kilomètres de Mugello en compagnie de Gérard Larrousse. Devancière de l’A442 victorieuse dans la Sarthe en 1978 avec Didier Pironi et Jean-Pierre Jaussaud, ce laboratoire roulant a préfiguré la réussite de la marque au losange au plus haut niveau de la compétition. Le proto explorait la solution du turbocompresseur, axe d’expérimentation auquel Jean-Pierre Jabouille, devenu un metteur au point hors pair, directement intégré au sein du staff des meilleurs ingénieurs du moment, s’impliquait avec une pertinence et une efficacité unanimement reconnues. Aussi bien d’ailleurs dans le cadre de ces épreuves au long cours que dans celui des sprints de Formule 2, l’antichambre de la F1, catégorie où il a donc triomphé au volant de la Elf 2. En 1977, dix ans après sa première victoire en F3 à Reims, il faisait donc débuter la Renault RS01 avec la perspective d’essuyer les plâtres pour accompagner les avancées de cet audacieux pari technologique. Il en accepta les sacrifices et en encaissa les déceptions. Une fois sa mission accomplie, physiquement diminué après son accident au GP du Canada, il effectua bien de brèves prolongations dans le baquet d’une Ligier pour clore le chapitre F1 mais jeta rapidement l’éponge pour endosser le rôle de conseiller technique au sein de l’écurie vichyssoise. Après l’échec de la JS19, à nouveau démangé par l’envie de piloter, il reprit du service en Production, puis en Voitures de Sport. Premier pilote de la Peugeot 905, il enchaînait deux podiums aux 24 Heures du Mans (1992 et 1993) avant de succéder à Jean Todt à la tête de Peugeot Sport.
Après la déception du partenariat vite avorté avec McLaren en F1 (sacrés Anglais !), Jean-Pierre Jabouille préféra enfin reprendre son indépendance et s’impliquer dans divers projets aussi bien en GT qu’en protos (Porsche, Ferrari, Viper, Morgan...). Ces dernières années, il a saisi toutes les occasions pour profiter de la Creuse, berceau de sa famille. Parties de pêches, de golf, ou virées à moto avec son pote, voisin et exbeau-frère Jacques Laffite, mais aussi retour aux sources en compagnie des copains installés dans le secteur. Parrain du Creusekistan Classic, il appréciait au début de l’été se mêler aux équipages pour sillonner la région au volant de sa berlinette A110, réplique de celle avec laquelle il décrocha son premier succès à la course de côte du Mont-Dore en 1965. Également parrain du Mornay Festival, initié par l’ancien champion de F3 Pierre Petit sur son circuit proche de Bonnat, Jean-Pierre y a retrouvé la célébrissime RS10. Renault Classic la lui avait mise à disposition lors de l’édition inaugurale de 2019. Quelques madeleines de Proust et puis s’en va. Le jeudi 2 février dernier, “Le Grand Blond” nous a faussé compagnie.
Ces dernières années, Jab’ saisissait toutes les occasions pour multiplier les escapades en Creuse, berceau de sa famille.