Tour d’honneur au Monte-Carlo
Cinquante ans pile après sa victoire historique au Monte-Carlo 1973, Jean-Claude Andruet est revenu sur les terres alpines avec une A110 proche de celle d’époque, pour le rallye historique. L’occasion de prendre du temps avec un pilote de légende au palmarès multidiscipline hors norme.
Circuit de Montlhéry, par un froid matin de janvier : une couverture jetée sur les épaules, en combinaison bleu pâle, Jean-Claude Andruet retrouve pour une séance d’essai la compagnie de celle avec qui il prit part à tant d’épreuves, l’Alpine A110. Il s’apprête alors à reprendre le volant de ce modèle pour disputer le Rallye Monte-Carlo Historique, célébrant le cinquantenaire de sa victoire dans le cadre du premier Championnat du monde FIA des rallyes. Malgré une ressemblance troublante, il ne s’agit pas de la voiture d’origine mais d’une sublime refabrication, sur la base d’une épave de modèle 1600 S transformée en 1800 Groupe 4 et décorée comme en 1973, sortant environ 180 chevaux (soit 100 ch/l) pour 720 kg. Elle appartient à Philippe Peauger, passionné d’anciennes et propriétaire de quelques très belles autos, et a été réalisée avec le savoir-faire de Dominique Frossard de Périgord Moulages. Une auto qui tient une place à part dans le coeur de Jean-Claude Andruet : « L’Alpine, je prenais un plaisir fou à la conduire et j’appréhendais la fin des courses et que ça s’arrête. À piloter, c’était vraiment le sommet du plaisir et du jeu, et l’A110 était efficace partout. J’ai souvent pensé à Jean Rédélé en le remerciant d’avoir fait une voiture comme ça ! » Avec elle, il gagnera souvent (Tour de Corse 72, avec 9 min 18 s d’avance !), mais passera aussi à côté de belles victoires, parfois injustement. Une histoire répétée pour ce pilote qui se décrit comme naïf : « Je n’ai jamais triché, j’étais d’une naïveté incroyable, le sport c’est sacré, je ne l’imagine pas sans la loyauté. » Il a bien failli aussi ne pas gagner le Monte-Carlo 73, avec une crevaison au départ du Turini. Au lieu de s’arrêter au milieu des spectateurs qui auraient pu soulever l’Alpine si légère pour un changement de roue rapide (moins de 2 minutes), il continue et attaque comme un fou dans les seuls virages à gauche, avant de reprendre la tête. Ove Andersson, son rival dans l’équipe, pulvérise son record dans la dernière spéciale. Avec sa coéquipière Biche, Andruet sait ce qu’ils vont jouer et il passe bien plus vite que ce qu’indiquent ses notes, malgré la présence de gravier. Incroyable. Verdict : un record de la Madone, qui porte bien son nom. Pour lui, le Monte-Carlo était le graal. Plaçant le curseur parfois trop haut, il lui est arrivé de sortir, devant attaquer encore plus fort ensuite... « Dans le brouillard, j’étais un fou ! Dans une courbe notée à 130 km/h sur le sec, je
suis passé sans lever le pied, à l’équerre, mais il y avait un poteau à la sortie, je me suis dit que j’étais mort et c’est passé tout juste. » À la question des qualités qui sont nécessaires à un pilote, celui que ses mécaniciens surnommaient “La Panique” évoque un assemblage de motivation avec un mental qui va bien au-delà de la normale, ainsi que l’intelligence pour comprendre les choses : « Je manquais de confiance et j’avais besoin de me prouver ce dont j’étais capable, surtout lorsque je courais pour des gens que j’aime. J’étais un peureux, je ne suis jamais monté à côté d’un grand pilote, mais ainsi je faisais certainement plus de progrès que quelqu’un qui n’a pas peur. » Une franchise dans ses propos que l’on retrouve lorsqu’il définit sa personnalité, la formule qui a permis son succès : « Au début, je ne connaissais rien à la mécanique automobile. Mais j’avais une certaine sensibilité féminine, et en même temps un esprit plus viril en course. » Une sensibilité qu’on retrouve en rencontrant aujourd’hui le champion, charmant dans son contact sincère, direct dans ses émotions. Jean-Claude Andruet démarre sa carrière avec une R8 Gordini, une voiture-école fantastique avec ses 83 chevaux en 1100 et ses pneus en 135, donc générateurs de dérives perpétuelles, que l’on retrouvait dans l’ultraspectaculaire Coupe Gordini. Mais son parcours de pilote pro à partir de 1972 est parfois émaillé de mauvais choix. Entrant chez Alpine, il manque une opportunité avec Matra pour un contrat plus intéressant et peut-être une meilleure carrière à la clé, avec une auto supérieure. Plus tard, quand Porsche lui propose un volant, il répond qu’il n’aime que les Alpine et les Ferrari... Il aura aussi le privilège de participer à la mise au point de la légendaire Lancia Stratos :
« Je manquais de confiance et j’avais besoin de me prouver ce dont j’étais capable, surtout quand je courais pour des gens que j’aimais. »
« Au début, pour la piloter, c’était quelque chose. Mais j’ai quitté Lancia au moment où la voiture était la meilleure de l’époque, l’erreur de ma vie... » Puis il prend le volant d’une Alfa GTV qui bénéficiait d’un potentiel fantastique (2.0 de 220 chevaux en Groupe 2), et avec, il finit 3e au Tour de Corse en 1975 à cause d’une pénalité. La Fiat 131, quant à elle, était moins bien née : « Un camion, très physique à conduire, lourde, pas faite pour la course au départ, mais elle a fini par faire des temps », raconte-t-il. Il connut l’arrivée des Groupe B aussi : « La Lancia 037 m’a donné beaucoup de plaisir, elle passait en courbe à des vitesses dingues, faisant la synthèse des connaissances de Lancia à l’époque. Quant à la Citroën BX 4TC, sa suspension oléo-pneumatique était fantastique sur la terre. » Sans aucun doute, le rallye est sa première spécialité. « Les pilotes qu’on devrait mettre le plus en exergue sont les pilotes de rallye. Cela demande tellement de qualités complémentaires. Et il n’y a pas de sécurité, il faut être courageux ! » Mais Jean-Claude Andruet aime bien varier les plaisirs. Ainsi s’engage-t-il dans deux courses de F3, sans entraînement, signant une pole position à Nogaro avant de finir 2e sur le podium, puis une autre pole à Magny-Cours sous la pluie. En endurance, au Mans, c’est lui le plus rapide au passage du Tertre Rouge, et il gagne l’indice de performance en 1968 avec Alpine. En 1977, il remporte aussi les 24 Heures de Spa au scratch avec BMW, pour ne citer que quelques exemples. Voilà donc une carrière ultra-riche, célébrée devant le public du Rallye Monte-Carlo Historique. Une épreuve de régularité, pas de vitesse pure mais gageons que Jean-Claude Andruet a su offrir un joli spectacle à ses nombreux fans, qui se réjouissaient de revoir leur pilote favori. Parmi eux, Denis Briot est responsable du Club Jean-Claude Andruet, qui a généré un nombre étonnant de vues avec la photo de la voiture engagée ici, preuve de l’immense popularité du pilote. « Si je fais cette course, c’est parce que c’est la première fois qu’un pilote peut repartir cinquante ans après avec une voiture identique. J’ai envie de faire plaisir aux gens qui viennent me voir, un peu comme un tour d’honneur. Je vais faire ce rallye pour eux, j’ai toujours senti le public qui me portait, y compris en course », explique-t-il. Un plaisir partagé aussi cette année au Mans Classic, au volant d’une Porsche décorée pour le centenaire de l’épreuve, à laquelle il a participé une vingtaine de fois, gagnant en catégorie C2 avec la CougarPorsche de l’écurie d’Yves Courage en 1989. Décidément éclectique et franchement chic, Jean-Claude Andruet.
« L’Alpine, je prenais un plaisir fou à la conduire et j’appréhendais la fin des courses et que ça s’arrête.»