AUTO HEROES

« Le plus beau circuit du monde »

Pendant trois décennies à partir de 1958, le grand Charade a rivalisé avec Spa et le Nürburgrin­g pour accueillir le gotha. Qualifié de « plusbeauci­rcuitdumon­de » par Stirling Moss, le circuit auvergnat de 8 km appartient à la légende du sport auto.

- texte Jean-Paul Renvoizé - photos Paul Lutz pour Agissons pour Charade et Automobile Club d’Auvergne

Le rendez-vous avait été xé au 10 juillet 1955 sur le premier circuit d’Auvergne de 6,124 km situé à l’entrée est de Clermont-Ferrand, en bordure de l’aéroport. Pour ce meeting inaugural, tout était en place, depuis l’installati­on des tribunes jusqu’à l’impression des billets et des af ches. Et puis patatras... À un mois du jour J, la course a dû être annulée, la terrible catastroph­e des 24 Heures du Mans ayant eu pour corollaire d’imposer un coup d’arrêt aux compétitio­ns. Après le projet avorté d’un circuit autour du puy de Dôme en 1908, puis l’abandon de celui dit “des Landais” au sortir de la Seconde Guerre mondiale, jugé trop étriqué avec ses 1 700 mètres de développem­ent possible sur le site choisi, la troisième tentative venait de capoter à son tour. La célébratio­n du jubilé de la coupe Gordon Bennett de juillet 1905 passait à la trappe. C’était toutefois insuf sant pour stopper la déterminat­ion de Jean Auchatrair­e, le président de l’ASACA, et du champion Louis Rosier originaire de Chapdes-Beaufort, inconditio­nnellement soutenus par Toto Roche, cheville-ouvrière du circuit de Reims-Gueux, responsabl­e de la Fédération française et président de la Commission internatio­nale des circuits. Sans préjuger de la date du feu vert de la reprise des compétitio­ns sur circuits, le tracé semi-urbain d’Herbet paraissait inévitable­ment condamné à très court terme. Il convenait, dès lors, de repartir d’une feuille blanche sur un nouveau projet. Déniché par Louis Rosier, le site vallonné en mesure d’accueillir les infrastruc­tures d’un autodrome répondant au cahier des charges du staff de l’Automobile Club d’Auvergne se situait sur les hauteurs de la capitale auvergnate. Le pilote Talbot, vainqueur de deux GP de F1 et des 24 Heures du Mans, victime d’un accident fatal aux Coupes du Salon en octobre 1956, n’en vit hélas pas la réalisatio­n. À 800 mètres d’altitude au pied du puy de Dôme, de gigantesqu­es travaux sont entrepris en mai 1957. On déplace 80 000 m3 de déblais, surface 60 000 m2 de zones asphaltées et construit 400 mètres d’ouvrages d’art. Quatorze mois plus tard, le toboggan géant est nalisé pour accueillir le rendez-vous inaugural. Avec son ruban de 8,055 km enchaînant 51 courbes et des rampes atteignant jusqu’à 10 %, le grand circuit de montagne auvergnat rivalise avec les références que sont Spa-Francorcha­mps et le Nürburgrin­g. Sa consécrati­on est prononcée par Stirling Moss. « Charade est le plus beau circuit du monde », af rme-t-il, lorsqu’il le découvre aux commandes de sa Mercedes 300 SL personnell­e. Le dimanche 27 juillet 1958, les Trophées d’Auvergne - avec au programme une course de F2 et les Trois Heures Internatio­nales de Grand Tourisme - remplissen­t les parkings, la tribune et les talus en surplomb accessible­s sur un tiers du tracé sous un chaud soleil. Un dispositif sécuritair­e imposant répond aux exigences de l’époque. Les participan­ts, eux, découvrent un tracé hyper technique et physiqueme­nt éprouvant. Pour la prise de contact lors des essais, les écarts con rment cette complexité. Au volant de la Cooper Climax de l’écurie Rob Walker, Maurice Trintignan­t - futur vainqueur au terme des 20 tours - signe la pole position avec un premier temps de référence de

4 min 02 s. En course, Ivor Bueb (Lotus) l’améliore de près

de 6 s à plus de 120 km/h de moyenne mais doit se contenter de la place de dauphin. Dans la course d’endurance, riche en rebondisse­ments, l’Écossais Innes Ireland et sa petite Lotus MK11 créent la surprise en s’adjugeant la victoire au nez et à la barbe d’une armada de Ferrari 250 GT pilotées par “Pétoulet”, Willy Mairesse, Olivier Gendebien (détenteur du meilleur tour en 4 min 09 s 9) et Nino Da Silva Ramos. Un joli baptême pour le nouveau circuit de montagne qui accueille en septembre le passage du Tour de France Auto. L’année suivante, alors que les travaux d’aménagemen­t se poursuiven­t, c’est au tour du Rallye Lyon-Charbonniè­res d’y faire escale avant les Trophées d’Auvergne (victoires de Peter Ashdown aux 2 Heures d’Auvergne Sport et GT et de Stirling Moss en F2). La réputation de Charade n’est déjà plus à faire. Sa notoriété s’amplifie avec l’organisati­on des 6 Heures d’Auvergne (victoires de Jo Bonnier en 1960 et de Willy Mairesse en 1961), puis celle du Championna­t du monde des marques en 1962 et 1963 avec les succès de Carlo Abate (Ferrari GTO) puis de Lorenzo Bandini (Ferrari Testa Rossa). Le premier GP de France de Formule 2 y est organisé en 1964 avec un podium prestigieu­x (Dennis Hulme, Jacky Stewart, Jochen Rindt). La consécrati­on coïncide avec le 60e anniversai­re de la Gordon Bennett. L’ASACA hérite de l’organisati­on du GP de France de F1 en 1965. La victoire revient à Jim Clark et sa Lotus. Le début d’une glorieuse période puisque trois autres Grands Prix de France ont lieu en 1969 (victoire de Jackie Stewart / Matra), en 1970 (victoire de Jochen Rindt / Lotus) et en 1972 (victoire de Jackie Stewart / Tyrrell). Sur cette dynamique, les Trophées d’Auvergne, les manches de F3, Formule France puis Formule Renault et de Coupe Gordini, les courses de GT Sport-Prototypes et le Tour de France Auto font tribunes combles. Jean-Luc Salomon, Patrick Depailler, Helmut Marko, Jean-Pierre Jabouille, Jacques Laffite, Patrick Tambay, Roger Williamson, Gérard Larrousse, Alain Prost, René Arnoux ou encore Didier Pironi y signent de retentissa­nts succès. Et puis arrive la phase de décélérati­on. Sous la pression d’une associatio­n de riverains, le meeting de 1978 capote. Deux ans plus tard, lors de la Coupe R5, deux concurrent­s se percutent après la courbe de la passerelle de Manson. Trois commissair­es sont tués et un autre grièvement blessé. En 1981, les carambolag­es s’enchaînent. Deux courses sont arrêtées au drapeau rouge. Faute de pouvoir suivre le rythme effréné des exigences structurel­les modernes, le grand circuit de montagne s’essouffle. Il se cantonne bientôt aux manifestat­ions nationales, accueillan­t essentiell­ement les formules de promotion. Ersatz envisagé depuis quelques années, le petit Charade, dont le développem­ent de 4,050 km ne reprend que 2,900 km du tracé originel, est achevé après un an de travaux en 1989. Exit les Jumeaux, Gravenoire et Champeaux. L’époque faste appartient au passé. Le meilleur tour signé par Chris Amon en 2 min 53 s 4 au volant de sa Matra MS120D lors des essais du Grand Prix de 1972 restera donc un record pour l’éternité.

La consécrati­on arrive en 1965 lorsque Charade accueille son premier Grand Prix de France de Formule 1.

 ?? ?? Longueur : 8 050 mètres Largeur de la chaussée : 7 mètres Plus grand alignement : 587,60 mètres Plus petit rayon de courbe : 15 mètres Rampe maximum : 10 % Pente maximum : 7,8 %
Longueur : 8 050 mètres Largeur de la chaussée : 7 mètres Plus grand alignement : 587,60 mètres Plus petit rayon de courbe : 15 mètres Rampe maximum : 10 % Pente maximum : 7,8 %
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 ?? ?? Parti derrière Alain Cudini (Alpine n° 2) et Maxime Bochet (Hampe n° 9), Jacques Laffite (Martini n° 10) s’impose en F3 en 1972.
Parti derrière Alain Cudini (Alpine n° 2) et Maxime Bochet (Hampe n° 9), Jacques Laffite (Martini n° 10) s’impose en F3 en 1972.
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Les travaux ont duré de mai 1957 à juillet 58.
 ?? ?? Pole et record du tour en 1972 pour Amon (Matra n° 9), qui s’incline à cause d’une crevaison derrière Stewart et Fittipaldi.
Pole et record du tour en 1972 pour Amon (Matra n° 9), qui s’incline à cause d’une crevaison derrière Stewart et Fittipaldi.

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