Meilleur second rôle
Dans la multitude des marques françaises, tout le monde connaît les premiers rôles, mais beaucoup oublient le nom des seconds, ceux qui donnent du relief au scénario, ceux sans qui les chefs-d’oeuvre ne seraient que des oeuvres.
Soyons honnête. Quand on prononce le nom de Delage ou celui de Bugatti, cela déclenche le frémissement d’un souvenir même chez les plus rétifs à la chose automobile. En revanche, le nom de Ballot ne soulève aucune réaction, aucun émoi, aucune nostalgie aux mécréants. Ballot fait pourtant partie des marques françaises les plus estimables.
Qu’on ne se méprenne pas sur les initiales qui ornent la porte de l’usine au numéro 105 du boulevard Brune à Paris, près de la porte de Vanves, dans des locaux précédemment occupés par l’imprimerie d’Édouard Guillaume : EB signifie Ernest Ballot et non Ettore Bugatti. Ce mécano apprit son métier dans la Marine nationale dont il a gardé l’ancre pour emblème. La navigation forge le caractère. « C’est curieux chez les marins ce besoin de faire des phrases », notait Maître Folace dans Les Tontons flingueurs. Pas lui. Pas Édouard Ballot qui est un taiseux, un austère, un janséniste. En 1906, à l’âge de 36 ans, il a monté une manufacture de
moteurs fixes pour la marine et l’industrie. Cinq ans plus tard, sa société s’est transformée en Établissements Ballot S.A. et va fournir les constructeurs d’automobiles comme Delage. Ballot investit alors de nouveaux locaux aux 37-39 boulevard Brune. Au lendemain de l’Armistice, Édouard Ballot est sollicité par René Thomas, un pilote qui a touché à l’aviation et au motocyclisme avant de passer à l’automobile et de gagner ses galons en remportant les 500 Miles d’Indianapolis en 1914. René Thomas a été invité par les organisateurs américains à participer à l’édition 1919. Pour mettre toutes les chances de son côté, il sollicite Ernest Henry, l’ingénieur suisse auteur des Peugeot de Grand Prix les plus glorieuses avant la Grande Guerre. Libéré par Peugeot en 1915, Ernest Henry rend visite à Édouard Ballot en compagnie de René Thomas à la veille de Noël 1918. Les deux hommes lui demandent de construire quatre voitures dotées d’un moteur conçu par Ernest Henry. Après 24 heures de réflexion, le vieux marin relève le défi et accepte !
102 jours plus tard, la première automobile Ballot équipée d’un huit cylindres à double arbre à cames en tête et quatre soupapes par cylindre, un 4,8 litres fournissant 140 chevaux, effectue ses premiers essais sur le boulevard Brune. En dehors de son moteur, la Ballot 5/8LC reprend les grandes lignes des Peugeot de Grand Prix. Quatre voitures embarquent pour New York en avril. À Indy, elles sont assignées à René Thomas, Louis Wagner, Paul Bablot et Albert Guyot. Pendant la course, deux voitures seront éliminées, mais Guyot terminera quatrième et Thomas onzième.
L’équipe ne perd pas de temps et prépare l’édition 1920 pour laquelle les règles changent : la cylindrée est ramenée de cinq à trois litres pour s’aligner sur les normes européennes. Trois voitures (Type 3/8LC) sont construites en 1920 avec un huit cylindres réduit à trois litres (65 x 112 mm) et ne délivrant plus que 107 chevaux. Elles sont allouées à René Thomas, Ralph De Palma et Jean Chassagne qui termineront respectivement aux 2e, 5e et 7e places.
En 1921, au Grand Prix de l’A.C.F., les Ballot 3 litres tentent encore leur chance et se classent 2e et 3e. En septembre, la firme parisienne signe enfin un doublé avec Jules Goux et Jean Chassagne lors du Grand Prix d’Italie à Brescia. En 1922, au Grand Prix de l’A.C.F. disputé en Alsace, Ballot engage sans succès des 2LS caractérisées par un étrange nez caréné.
La compétition sportive n’est pas une fin en soi. La Ballot 2LS va donner naissance à une déclinaison routière commercialisée au compte-gouttes à partir d’octobre 1921. Une cinquantaine de voitures seront vendues, toutes équipées de séduisantes carrosseries légères à deux places.
Un an plus tard, au Salon 1922, Ballot propose la 2LT (2 litres Tourisme) qui se veut moins sophistiquée, le moteur ne disposant plus que d’un seul arbre à cames en tête. Habillée au choix du client par divers carrossiers et sous de multiples formes, la 2LT sera produite à 2 000 exemplaires. En 1925, la 2LT cède la place à la 2LTS (pour Tourisme Sport) qui se veut plus confortable. 600 unités verront le jour. Mais Ballot rêve de concurrencer les Américains sur leur terrain et lance en octobre 1927 la RH dotée d’un huit cylindres de 2,6 litres (puis 2,8 litres)... un peu juste pour inquiéter les Étasuniens. Tous les carrossiers français mettent leur talent au crédit de cette belle mécanique mais la RH naît à la veille de la crise économique. Hispano-Suiza vole au secours de Ballot et lui confie la fabrication d’un modèle plus abordable. Présentée en septembre 1930, la Ballot HS-26 dérive de la RH mais dispose d’un six cylindres Hispano-Suiza H6. Une trentaine d’exemplaires seulement seront assemblés. En avril 1932, Hispano-Suiza absorbe la firme Ballot. La Ballot HS-26 devient Hispano-Suiza Junior... C’est ballot.
Ballot a fait un passage fulgurant dans l’histoire de l’automobile française avec des productions très sophistiquées.