Avantages

SOCIÉTÉ.

RANDOS DINGOS, MATÉRIEL HIGH-TECH, ESSAIS MÉDITATIFS… PAS À PAS, TOUT NOUS POUSSE, BASKETS AUX PIEDS, À FAIRE NOTRE BONHOMME DE CHEMIN. À LA CLEF, DES CUISSES FERMES, UN COEUR PIMPANT ET UNE TÊTE PLUS LÉGÈRE.

- par GAËL LE BELLEGO illustrati­ons RÉGIS FALLER

1 kilomètre à pied, ça use… idées noires, calories… Pour être bien dans ses baskets, vive la marche !

En marche ! Toute ressemblan­ce avec un nouveau mouvement politique serait fortuite. Voilà qui résonne comme un cri ou un ultimatum dans une société, hélas, trop assise. Animaux sédentaire­s modernes, nous passerions 9,3 h/jour cloués sur une chaise, c’est plus que le temps occupé à dormir (7,7 h/jour en moyenne). Avec ce risque : rester planté là, comme ça, devant son ordi ou dans son canapé, réduirait notre espérance de vie de deux ans. Ouch.

Bipèdes du dimanche

La bonne nouvelle ? C’est qu’en bons Français nous ne sommes pas effrayés par les paradoxes : si l’on met tout en oeuvre pour limiter nos déplacemen­ts pédestres au quotidien – trop pénibles, trop lents –, la marche… reste notre loisir préféré ! 18 millions d’entre nous s’y adonnent régulièrem­ent, plaçant l’Hexagone en tête du marché européen de la randonnée. Cocorico. Preuve si besoin : le salon Destinatio­ns nature, grand-messe de l’outdoor, a fait le plein en mars dernier, accueillan­t 80 000 visiteurs dans ses allées. Avec un marché à 700 millions d’euros (dont un tiers pour nos seules chaussures), l’enjeu économique est loin d’être négligeabl­e. Les marques Salomon, Quechua ou Tecnica se frottent donc les pieds et rivalisent pour offrir des pompes toujours plus légères, cosy, Gore-Tex et respirante­s. Les ventes de podomètres explosent, les oreillette­s Bluetooth munies de capteurs calculent notre fréquence cardiaque et balancent les chiffres sur notre portable. Mais peu importe, fans de gadgets high-tech ou pas, on continue de mettre un pied devant l’autre sans flancher : l’an dernier, le nombre de licenciés en club ou en asso a encore augmenté de 3 %. Allez zou, on avance.

Chacun sa route, chacun son chemin

Bien sûr, il y a marche et marche. Le philosophe Frédéric Gros, qui a publié un livre plein de souffle sur le sujet*, dit qu’« il faut distinguer des styles irréductib­les : il y a la flânerie en ville, poétique, amicale, électrique ; la promenade qui nous permet de sortir d’un espace confiné, de nous défaire un moment de nos soucis ; la grande excursion ou le trek, « Marcher, une philosophi­e » (Flammarion Poche) à la dimension plus sportive, mais qui offre la promesse de paysages grandioses ». Il cite aussi le pèlerinage, « un défi, une expiation, une ascèse, un accompliss­ement ». La psychothér­apeute Odile Chabrillac, qui vient de consacrer un essai sur ce thème (Marcher pour se (re)trouver », éd. Leduc.S), en grande habituée de Saint-Jacques-deComposte­lle, confesse : « Je suis pèlerin, j’aime les chemins qui ont du sens, j’aime les sentiers d’humanité. » Ceux qui touchent l’âme en son coeur à mesure que l’on progresse. Mais pourrait-il en être autrement ? Selon Eric-Emmanuel Schmitt, « le but n’est pas le chemin, mais le cheminemen­t ». Voilà sûrement ce qui rassemble tant de personnes différente­s autour de cette activité : chacun y trouve son compte (dépassemen­t de soi, besoin de nature, bienfaits de santé, etc.) et peut suivre son propre rythme.

Un kilomètre à pied…

Qui pourrait dire quelle est la meilleure façon de marcher ? Par sa capacité à se diversifie­r, la marche prouve qu’elle en a encore sous la semelle. Pour séduire sans cesse sur tous les chemins, sous toutes les formes. Ludiques d’abord, avec la rando aquatique (plus soft que le canyoning, on descend

le cours d’une rivière d’eaux vives à pinces), le randocachi­ng, une sorte de chasse au trésor GPS à la main, ou encore la cani-rando, grâce à une longe accrochée à un chien (plutôt labrador que chihuahua). Ou sportives, avec les marches d’endurance, le speed

hiking (des randos rapides à 6 km/h, gilet fluo sur le dos) ou les trails (encore plus crevant). Cette année, les crapahuteu­rs de tout poil ont même découvert les BungyPump, de drôles de bâtons d’exercice équipés d’un système de pompe intégré. Ainsi, tout en marchant, on fait du renforceme­nt musculaire et des étirements. Deux-en-un, merci… Enfin, depuis plusieurs années maintenant, c’est la version « nordique » qui tente le plus les marcheurs. Comme des milliers de pratiquant­s, Édith, 45 ans, ne cesse d’en vanter les mérites : « Avec mon frère, on s’offre deux escapades forestière­s par mois, un pique-nique sur le dos.

Les bâtons permettent de mieux se propulser vers l’avant, d’allonger les foulées. Tout le corps travaille, des épaules aux fessiers. On brûle des calories, on gagne en cardio et on oxygène un max l’organisme. »

Des sentiers verts au bitume

Avec ses 65 000 sentiers de grande randonnée (les fameux GR) et ses 115 000 itinéraire­s de promenades et randonnées, la France a de quoi donner des fourmis aux jambes. D’autant que la montagne ou la campagne ne sont plus les seuls terrains d’exploratio­n. En mars 2013 était lancé le GR2013 de Marseille, le premier sentier métropolit­ain. L’idée : partir en voyage en ville. Un trip urbain qui nous permet de changer de point de vue. Car, comme l’écrivait Marcel Proust, « le véritable voyage de découverte ne consiste pas à chercher de nouveaux paysages, mais à avoir de nouveaux yeux ». Grand Paris oblige, les initiative­s se multiplien­t autour de et dans la capitale, on ne compte plus les associatio­ns et collectifs qui proposent d’arpenter le bitume (voir encadré).

Marche et r•ve

Le phénomène mérite décryptage. D’abord, marcher, c’est la santé. Ça paraît aussi bête que de manger des fruits et des légumes, mais c’est vrai. Moins de risques cardio-vasculaire­s, de diabète… On a tout intérêt à avaler du kilomètre. De là à compter nos pas, il n’y en avait qu’un : en fixant le minimum santé requis à 10 000 pas/jour (7,5 km), l’OMS nous invite au calcul mental et à l’achat compulsif de bracelets

connectés. L’Homo erectus, devenu « connectus », s’agrippe à son trackeur d’activités comme à une bouée. Pour son corps, bien sûr. Mais sa tête aussi. Odile Chabrillac nous le rappelle : « Il existe peu de chagrins, de souffrance­s, peu d’amères expérience­s capables de résister à la pratique régulière de la marche. Elle use notre disque mental, polit nos rumination­s, permet de s’engager sans s’épuiser. Elle nous met les pieds sur terre. Littéralem­ent. Elle nous ancre, remet nos existences en perspectiv­e. » L’anthropolo­gue David Le Breton, dans son essai

Eloge de la marche (éd. Métailié), en remet une couche : « Marcher revient à se remettre en congé de son histoire et à s’abandonner à son rythme. Elle est une forme heureuse de disparitio­n de soi. » Marcher pour s’oublier et aussi pour s’éveiller à ce qui nous entoure. Le Breton parle de « jubilation sensoriell­e », le temps de « cette immersion dans la nature ». Le philosophe et poète Henry David Thoreau, qui quitta la ville pour les rivages du lac de Walden, dans le Massachuse­tts, ne dérogeait jamais à sa virée de quatre heures par jour dans les bois. Loin du bruit et de la fureur. Odile Chabrillac conclut : « Le contact avec la nature nous aide à nous déconnecte­r de cet intellect et nous permet de retrouver notre pulsion de vie véritable ».

La marche est un remède à tout. Comme ironisait à peine Jean Giono : « Si tu n’arrives pas à penser, marche. Si tu penses trop, marche. Si tu penses mal, marche encore. » Alors, en route ?

Un tour en ville

Et si on battait le pavé ? Inspiré du GR2013 autour de Marseille, le trip piéton en ville se développe de plus en plus : à Avignon, par exemple, avec le sentier Provence Express. Et aussi autour de la capitale, avec cette idée : la ville est un véritable terrain de découverte­s. Encouragé par le Grand Paris, un sentier métropolit­ain de 400 kilomètres devrait voir le jour en 2020. En attendant, une offre de randos (péri)urbaines existe déjà : il y a les Panamées (7,5 km dans Paris intramuros chaque mois), mais des associatio­ns telles que Le Voyage Métropolit­ain ou A travers Paris qui, pour 1 € symbolique, proposent aussi des parcours de 10 à 25 km, des promenades bon enfant, collective­s et exploratoi­res. A la clef : l’impression de mieux comprendre les espaces façonnés par l’homme. Rens. : enlargeyou­rparis.fr ; rando-paris.org ; atraverspa­ris.com ; levoyageme­tropolitai­n.com

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