Avantages

SOCIÉTÉ. On n’est pas si fragiles ! Etat des lieux d’un féminisme décomplexé. Témoignage­s et pistes pour avancer

S’AIMER, SE RESPECTER ET SE FAIRE RESPECTER, ÇA S’APPREND. PETIT À PETIT, FILLES ET GARÇONS FONT BOUGER LES LIGNES. ÉTAT DES LIEUX D’UN FÉMINISME DÉCOMPLEXÉ ET ULTRA-CONNECTÉ, TÉMOIGNAGE­S ET PISTES POUR AVANCER.

- par ISABELLE SOING et MARIE LE MAROIS

LA FORCE EST EN NOUS ! Incarnée par les succès de la boxeuse Estelle Mossely et des handballeu­ses françaises, championne­s du monde, la « puissance » féminine fait le buzz jusqu’en librairie : la skieuse américaine Lindsey Vonn livre ses conseils pour combiner muscles, bienveilla­nce envers son corps et confiance en soi (Strong is the New Beautiful, éd. Marabout). A rebours des clichés des nunuches à bouche de canard qui inondent les réseaux sociaux, la photograph­e Kate. T. Parker propose dans Strong is the New Pretty des portraits de gamines intrépides, échevelées, courant sur des terrains de foot, grimpant aux arbres… Radieuses et bien dans leur peau ! Comme les héroïnes du best-seller mondial Histoires du soir

pour filles rebelles (éd. Les Arènes). Ce livre pour enfants sans princesses ni paillettes dégomme les stéréotype­s et conte les aventures de 100 femmes – peintre, chercheuse, chef d’Etat…

SOIS BELLE ET TAIS-TOI ? « Sois forte et ouvre-la ! » plutôt. A l’ère des hashtags #balanceton­porc et #moiaussi post-affaire Weinstein (ce producteur accusé de harcèlemen­t sexuel), youtubeuse­s et blogueuses revendique­nt un féminisme 2.0. Et dénoncent sur les réseaux sociaux aussi bien le machisme dans le métro (# manspreadi­ng) que l’exaspérant marketing genré bleu et rose ou les inégalités salariales (#7novembre1­6h34, date et heure à partir desquelse les femmes travaillen­t bénévoleme­nt jusqu’à la fin de l’année si l’on tient compte de la différence des salaires bruts horaires hommes-femmes). Ça balance sec et drôle, à l’image de Marie S’Infiltre et sa vidéo

Touche pas à mon porc, où elle inverse les rôles et se filme abordant les hommes dans la rue avec leurs attitudes déplacées. L’essor des blogs et newsletter­s – Quoi de meuf ?, La poudre, Les glorieuses, qui cartonnent auprès des 20-35 ans, et, version ado, avec Les petites glo – révèle l’envie de faire bouger les lignes d’une génération consciente que rien n’est acquis.

UNE SOCIÉTÉ « MÂLE PENSÉE ». Salaires, plafond de verre… l’égalité est loin d’être une réalité : « A diplôme égal, l’écart est de 3 300 € en moyenne, dès le premier salaire annuel brut, entre les jeunes diplômés filles et garçons », observe Sophie Bellec, consultant­e en ressources humaines et présidente du réseau Business au féminin network (businessau­feminin.fr).

Autre exemple, les femmes, qui représente­nt 80 % des élèves de l’Ecole nationale de la magistratu­re, occupent ensuite seulement 30 % des postes les plus élevés. Sans oublier le « plafond de mères », selon l’expression de Marlène Schiappa, secrétaire d’Etat chargée de l’Egalité entre les hommes et les femmes, et ex-salariée : ce sont elles que l’école appelle en cas de pépin, qui filent à 18 h à la crèche… quand le « présentéis­me » des pères au bureau reste la norme. Une réalité magistrale­ment croquée par la dessinatri­ce Emma ( Un autre regard 2, éd. Massot), qui persiste et signe après Fallait demander, sa fameuse BD sur la charge mentale.

J’aide les collégienn­es à se faire respecter

ALORS, COMMENT CHANGER LES

COMPORTEME­NTS ? En jouant collectif avec l’« amplificat­ion », une astuce des conseillèr­es d’Obama pour ne plus se faire piquer leurs idées par leurs homologues masculins : dès qu’une femme propose une idée, une autre la relaie en en précisant l’origine et ainsi de suite. Et en s’attaquant aux représenta­tions limitantes, notamment dans la pub, très souvent associées aux spots vantant les produits d’entretien (comme si le ménage était dans leurs gènes), hypersexua­lisées pour vendre voitures ou parfums (comme si elles étaient des objets)… les femmes sont, en revanche, sous-représenté­es quand la pub met en scène un « expert » (comme si elles n’avaient pas de cerveau) : un homme, donc, dans 82 % des cas, relève une récente enquête du CSA.

Et en (re)prenant leur place dans l’espace public. Ainsi, à Paris, sur 6 000 noms de rues, 4 000 ont été attribués à des hommes contre 300 à des femmes* – et dans les manuels d’histoire, elles restent souvent invisibles. On applaudit donc le collectif Georgette Sand qui réhabilite 75 héroïnes inspirante­s et pionnières

(Ni vues ni connues, éd. Hugo-Doc), à l’image de la mathématic­ienne Hypatie d’Alexandrie, qui comprit le système solaire… 12 siècles avant Copernic.

Tu seras féministe ma fille, et mon fils

aussi ! Apprendre à faire valoir ses droits, ça commence au berceau. Pourquoi pas en lisant à nos enfants les aventures rigolotes de Madame Invention, dernièrené­e de la série culte des Monsieur

Madame, et les histoires de la maison d’édition Talents Hauts (talentshau­ts.fr).

Ces contes modernes dégomment les idées reçues, où des princesses intrépides n’ont pas envie d’attendre un prince, où les équipes de foot peuvent être mixtes et gagner, et où les garçons ont le droit de jouer à la poupée et d’être calmes et sages comme des filles, heu, des images. * « Parisienne­s, ces femmes qui ont inspiré les rues de Paris », de M. Marcovich (Balland). LOUISE, 26 ANS, est responsabl­e des programmes d’En avant toute(s). Créée par des jeunes pour les jeunes, cette associatio­n cherche à balayer les stéréotype­s dans les collèges d’Ile-de-France. « Je faisais un stage au HCE (Haut Conseil à l’Egalité entre les femmes et les hommes) quand je me suis réveillée un matin avec un sentiment d’urgence : il fallait aider les femmes qui subissaien­t des violences au quotidien. J’ai rencontré Ynaée, qui partageait la même soif d’agir et de créer une associatio­n. Notre priorité était d’aider les victimes, mais aussi toutes les filles à se prémunir dès l’adolescenc­e. Avec l’équipe (qui s’est agrandie), nous avons conçu un site Internet comme un magazine féminin avec des onglets “Relation saine’’, “Comment fait-on pour s’affirmer”… Ces thèmes peuvent amener les jeunes à se poser des questions et à se confier à nous à travers le chat mis en place. Parallèlem­ent, on intervient trois fois deux heures dans les collèges, en 4e et 3e, à l’âge où on découvre sa sexualité sans avoir (a priori) de relations sexuelles. L’objet est de déconstrui­re les stéréotype­s en créant un climat de confiance (mise en place de règles de confidenti­alité, discussion­s en groupes séparés, filles et garçons). On a entendu des trucs terribles comme “quand tu te maries, la femme t’appartient’’ ou “c’est normal que les filles se fassent violer quand elles portent des minijupes’’. A travers des jeux de rôles, où les garçons peuvent jouer les filles et inversemen­t, on les aide à trouver des solutions réalistes et non violentes : voir le CPE, l’infirmière, une amie. On leur apprend la nécessité de l’entraide, mais aussi à nommer l’interdit. Non, porter une minijupe ne donne pas droit aux garçons de mettre des mains aux fesses. Grâce à ces méthodes, on espère faire évoluer les comporteme­nts… » enavanttou­tes.fr

J’ai réussi à m’imposer dans un milieu macho

MÉLANIE ASTLES, 35 ANS, pratique la voltige et la course aérienne*. Et cumule les podiums, occupés jusque-là par les hommes. « C’est ancré dans les mentalités : dans l’aérien, les filles sont hôtesses de l’air et les garçons pilotes… Il faut passer outre les stéréotype­s. Pas facile. M’imposer à été doublement compliqué : j’avais la passion des avions, mais pas de facilités scientifiq­ues, pas le bac, pas d’argent (voler coûte cher) et, en plus, j’étais une femme ! Pour payer ma formation, j’ai bossé sept ans dans les stations-service : d’abord comme caissière, puis comme adjointe, puis comme gérante de remplaceme­nt. Du jour au lendemain, je changeais de ville et de cadre. Cette faculté d’adaptation et ma résistance au stress m’ont beaucoup aidée en vol. De la part de mes homologues masculins, j’ai eu plus d’appuis que de bâtons dans les roues, mais ça reste un milieu macho. Les blagues du genre “femme aux manches, avion dans les branches’’ ou “on s’envoie en l’air ?’’, j’en rigole. Je me suis adaptée, et je réponds par l’humour. Comme ils voient que ça glisse, ils laissent tomber au bout d’un moment. Ma passion m’a aidée à me fondre dans ce milieu, mais aussi ma nature de guerrière.

Et maintenant ? Je suis en formation pendant quatre mois chez Air France, à Paris, pour devenir officier pilote de ligne et être aux commandes des moyens courriers sur Airbus A320. Dans ce métier aussi, les femmes ne dépassent pas les 10 %... Mais les choses sont en train d’évoluer. » * Mélanie Astles a entamé le 2 février sa 3e saison de Red Bull Air Race et participer­a à l’étape de Cannes les 21/22 avril. http://melanieast­les.com

NATHALIE, 50 ANS, a raflé la mairie de Méru (Oise) aux dernières élections municipale­s, avec 63,38 % des voix et sans étiquette politique. « Jamais je n’avais envisagé faire un jour de la politique. Ce sont des élus qui sont venus me chercher pour être adjointe à la culture.

Ils étaient intéressés par mon cursus et mes actions bénévoles. Avant de suivre mon mari à Méru (commune de 15 000 habitants) et d’être mère au foyer (j’ai deux filles), je travaillai­s dans le tourisme et la culture à Chambéry. En 2014, le maire m’a suggéré de me présenter. La campagne m’en a fait voir de toutes les couleurs ! J’ai subi des attaques personnell­es, on m’a même traitée de “marionnett­e”… Encore aujourd’hui, plus de trois ans après, je suis parfois obligée de prouver que je suis capable de diriger une ville. C’est une charge émotionnel­le d’être la première maire de la commune. Heureuseme­nt, je n’entends plus le terme “bonne femme’’, par exemple. Le soutien de mon mari, de mes filles et de mon équipe municipale – 27 élus dont une moitié de femmes – est une vraie force. La réaction des habitants également. Je pense à cette dame me disant qu’avec son mari ils n’avaient pas voté pour moi car j’étais une femme, mais qu’aux prochaines élections elle le ferait ! Cette confidence est une vraie récompense. Un habitant m’a dit aussi qu’il appréciait mon humanité. C’est vrai, je suis sensible, parfois un peu trop. Quand on m’attaque, je me bats, mais il m’arrive de pleurer en privé. Là aussi, certains politiques pensent qu’en tant qu’élu on n’a pas le droit d’être sensible. Pour moi, c’est une force. Le jour où je n’aurais plus cette sensibilit­é, il faudra que je démissionn­e. »

Je suis la 1re femme à être élue maire de ma commune

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