SOCIÉTÉ. On n’est pas si fragiles ! Etat des lieux d’un féminisme décomplexé. Témoignages et pistes pour avancer
S’AIMER, SE RESPECTER ET SE FAIRE RESPECTER, ÇA S’APPREND. PETIT À PETIT, FILLES ET GARÇONS FONT BOUGER LES LIGNES. ÉTAT DES LIEUX D’UN FÉMINISME DÉCOMPLEXÉ ET ULTRA-CONNECTÉ, TÉMOIGNAGES ET PISTES POUR AVANCER.
LA FORCE EST EN NOUS ! Incarnée par les succès de la boxeuse Estelle Mossely et des handballeuses françaises, championnes du monde, la « puissance » féminine fait le buzz jusqu’en librairie : la skieuse américaine Lindsey Vonn livre ses conseils pour combiner muscles, bienveillance envers son corps et confiance en soi (Strong is the New Beautiful, éd. Marabout). A rebours des clichés des nunuches à bouche de canard qui inondent les réseaux sociaux, la photographe Kate. T. Parker propose dans Strong is the New Pretty des portraits de gamines intrépides, échevelées, courant sur des terrains de foot, grimpant aux arbres… Radieuses et bien dans leur peau ! Comme les héroïnes du best-seller mondial Histoires du soir
pour filles rebelles (éd. Les Arènes). Ce livre pour enfants sans princesses ni paillettes dégomme les stéréotypes et conte les aventures de 100 femmes – peintre, chercheuse, chef d’Etat…
SOIS BELLE ET TAIS-TOI ? « Sois forte et ouvre-la ! » plutôt. A l’ère des hashtags #balancetonporc et #moiaussi post-affaire Weinstein (ce producteur accusé de harcèlement sexuel), youtubeuses et blogueuses revendiquent un féminisme 2.0. Et dénoncent sur les réseaux sociaux aussi bien le machisme dans le métro (# manspreading) que l’exaspérant marketing genré bleu et rose ou les inégalités salariales (#7novembre16h34, date et heure à partir desquelse les femmes travaillent bénévolement jusqu’à la fin de l’année si l’on tient compte de la différence des salaires bruts horaires hommes-femmes). Ça balance sec et drôle, à l’image de Marie S’Infiltre et sa vidéo
Touche pas à mon porc, où elle inverse les rôles et se filme abordant les hommes dans la rue avec leurs attitudes déplacées. L’essor des blogs et newsletters – Quoi de meuf ?, La poudre, Les glorieuses, qui cartonnent auprès des 20-35 ans, et, version ado, avec Les petites glo – révèle l’envie de faire bouger les lignes d’une génération consciente que rien n’est acquis.
UNE SOCIÉTÉ « MÂLE PENSÉE ». Salaires, plafond de verre… l’égalité est loin d’être une réalité : « A diplôme égal, l’écart est de 3 300 € en moyenne, dès le premier salaire annuel brut, entre les jeunes diplômés filles et garçons », observe Sophie Bellec, consultante en ressources humaines et présidente du réseau Business au féminin network (businessaufeminin.fr).
Autre exemple, les femmes, qui représentent 80 % des élèves de l’Ecole nationale de la magistrature, occupent ensuite seulement 30 % des postes les plus élevés. Sans oublier le « plafond de mères », selon l’expression de Marlène Schiappa, secrétaire d’Etat chargée de l’Egalité entre les hommes et les femmes, et ex-salariée : ce sont elles que l’école appelle en cas de pépin, qui filent à 18 h à la crèche… quand le « présentéisme » des pères au bureau reste la norme. Une réalité magistralement croquée par la dessinatrice Emma ( Un autre regard 2, éd. Massot), qui persiste et signe après Fallait demander, sa fameuse BD sur la charge mentale.
J’aide les collégiennes à se faire respecter
ALORS, COMMENT CHANGER LES
COMPORTEMENTS ? En jouant collectif avec l’« amplification », une astuce des conseillères d’Obama pour ne plus se faire piquer leurs idées par leurs homologues masculins : dès qu’une femme propose une idée, une autre la relaie en en précisant l’origine et ainsi de suite. Et en s’attaquant aux représentations limitantes, notamment dans la pub, très souvent associées aux spots vantant les produits d’entretien (comme si le ménage était dans leurs gènes), hypersexualisées pour vendre voitures ou parfums (comme si elles étaient des objets)… les femmes sont, en revanche, sous-représentées quand la pub met en scène un « expert » (comme si elles n’avaient pas de cerveau) : un homme, donc, dans 82 % des cas, relève une récente enquête du CSA.
Et en (re)prenant leur place dans l’espace public. Ainsi, à Paris, sur 6 000 noms de rues, 4 000 ont été attribués à des hommes contre 300 à des femmes* – et dans les manuels d’histoire, elles restent souvent invisibles. On applaudit donc le collectif Georgette Sand qui réhabilite 75 héroïnes inspirantes et pionnières
(Ni vues ni connues, éd. Hugo-Doc), à l’image de la mathématicienne Hypatie d’Alexandrie, qui comprit le système solaire… 12 siècles avant Copernic.
Tu seras féministe ma fille, et mon fils
aussi ! Apprendre à faire valoir ses droits, ça commence au berceau. Pourquoi pas en lisant à nos enfants les aventures rigolotes de Madame Invention, dernièrenée de la série culte des Monsieur
Madame, et les histoires de la maison d’édition Talents Hauts (talentshauts.fr).
Ces contes modernes dégomment les idées reçues, où des princesses intrépides n’ont pas envie d’attendre un prince, où les équipes de foot peuvent être mixtes et gagner, et où les garçons ont le droit de jouer à la poupée et d’être calmes et sages comme des filles, heu, des images. * « Parisiennes, ces femmes qui ont inspiré les rues de Paris », de M. Marcovich (Balland). LOUISE, 26 ANS, est responsable des programmes d’En avant toute(s). Créée par des jeunes pour les jeunes, cette association cherche à balayer les stéréotypes dans les collèges d’Ile-de-France. « Je faisais un stage au HCE (Haut Conseil à l’Egalité entre les femmes et les hommes) quand je me suis réveillée un matin avec un sentiment d’urgence : il fallait aider les femmes qui subissaient des violences au quotidien. J’ai rencontré Ynaée, qui partageait la même soif d’agir et de créer une association. Notre priorité était d’aider les victimes, mais aussi toutes les filles à se prémunir dès l’adolescence. Avec l’équipe (qui s’est agrandie), nous avons conçu un site Internet comme un magazine féminin avec des onglets “Relation saine’’, “Comment fait-on pour s’affirmer”… Ces thèmes peuvent amener les jeunes à se poser des questions et à se confier à nous à travers le chat mis en place. Parallèlement, on intervient trois fois deux heures dans les collèges, en 4e et 3e, à l’âge où on découvre sa sexualité sans avoir (a priori) de relations sexuelles. L’objet est de déconstruire les stéréotypes en créant un climat de confiance (mise en place de règles de confidentialité, discussions en groupes séparés, filles et garçons). On a entendu des trucs terribles comme “quand tu te maries, la femme t’appartient’’ ou “c’est normal que les filles se fassent violer quand elles portent des minijupes’’. A travers des jeux de rôles, où les garçons peuvent jouer les filles et inversement, on les aide à trouver des solutions réalistes et non violentes : voir le CPE, l’infirmière, une amie. On leur apprend la nécessité de l’entraide, mais aussi à nommer l’interdit. Non, porter une minijupe ne donne pas droit aux garçons de mettre des mains aux fesses. Grâce à ces méthodes, on espère faire évoluer les comportements… » enavanttoutes.fr
J’ai réussi à m’imposer dans un milieu macho
MÉLANIE ASTLES, 35 ANS, pratique la voltige et la course aérienne*. Et cumule les podiums, occupés jusque-là par les hommes. « C’est ancré dans les mentalités : dans l’aérien, les filles sont hôtesses de l’air et les garçons pilotes… Il faut passer outre les stéréotypes. Pas facile. M’imposer à été doublement compliqué : j’avais la passion des avions, mais pas de facilités scientifiques, pas le bac, pas d’argent (voler coûte cher) et, en plus, j’étais une femme ! Pour payer ma formation, j’ai bossé sept ans dans les stations-service : d’abord comme caissière, puis comme adjointe, puis comme gérante de remplacement. Du jour au lendemain, je changeais de ville et de cadre. Cette faculté d’adaptation et ma résistance au stress m’ont beaucoup aidée en vol. De la part de mes homologues masculins, j’ai eu plus d’appuis que de bâtons dans les roues, mais ça reste un milieu macho. Les blagues du genre “femme aux manches, avion dans les branches’’ ou “on s’envoie en l’air ?’’, j’en rigole. Je me suis adaptée, et je réponds par l’humour. Comme ils voient que ça glisse, ils laissent tomber au bout d’un moment. Ma passion m’a aidée à me fondre dans ce milieu, mais aussi ma nature de guerrière.
Et maintenant ? Je suis en formation pendant quatre mois chez Air France, à Paris, pour devenir officier pilote de ligne et être aux commandes des moyens courriers sur Airbus A320. Dans ce métier aussi, les femmes ne dépassent pas les 10 %... Mais les choses sont en train d’évoluer. » * Mélanie Astles a entamé le 2 février sa 3e saison de Red Bull Air Race et participera à l’étape de Cannes les 21/22 avril. http://melanieastles.com
NATHALIE, 50 ANS, a raflé la mairie de Méru (Oise) aux dernières élections municipales, avec 63,38 % des voix et sans étiquette politique. « Jamais je n’avais envisagé faire un jour de la politique. Ce sont des élus qui sont venus me chercher pour être adjointe à la culture.
Ils étaient intéressés par mon cursus et mes actions bénévoles. Avant de suivre mon mari à Méru (commune de 15 000 habitants) et d’être mère au foyer (j’ai deux filles), je travaillais dans le tourisme et la culture à Chambéry. En 2014, le maire m’a suggéré de me présenter. La campagne m’en a fait voir de toutes les couleurs ! J’ai subi des attaques personnelles, on m’a même traitée de “marionnette”… Encore aujourd’hui, plus de trois ans après, je suis parfois obligée de prouver que je suis capable de diriger une ville. C’est une charge émotionnelle d’être la première maire de la commune. Heureusement, je n’entends plus le terme “bonne femme’’, par exemple. Le soutien de mon mari, de mes filles et de mon équipe municipale – 27 élus dont une moitié de femmes – est une vraie force. La réaction des habitants également. Je pense à cette dame me disant qu’avec son mari ils n’avaient pas voté pour moi car j’étais une femme, mais qu’aux prochaines élections elle le ferait ! Cette confidence est une vraie récompense. Un habitant m’a dit aussi qu’il appréciait mon humanité. C’est vrai, je suis sensible, parfois un peu trop. Quand on m’attaque, je me bats, mais il m’arrive de pleurer en privé. Là aussi, certains politiques pensent qu’en tant qu’élu on n’a pas le droit d’être sensible. Pour moi, c’est une force. Le jour où je n’aurais plus cette sensibilité, il faudra que je démissionne. »
Je suis la 1re femme à être élue maire de ma commune