Avantages

MOTS HEUREUX

- PAR GAËL LE BELLEGO

Métaphores ou argot fleuri, d’où viennent ces expression­s qui révèlent les plaisirs des beaux jours ?

Voilà des mois qu’on se casse la nénette. Pressée comme un citron, on est au bout du rouleau, alors on rêve de prendre la poudre d’escampette et de… jeter l’éponge, passez-nous l’expression. Ou plutôt non, attardons-nous. Cette tournure vient de la boxe et du geste du manager qui lance l’éponge de son poulain à terre, pour mettre un terme au combat. Abandon. Combien de formules imagées employons-nous au quotidien, sans en connaître l’origine ? À l’approche des vacances, on se penche sur le phénomène, comme pour goûter aux premiers plaisirs de l’été.

TOP DÉPART

Les valises dans le coffre, le tube de crème solaire à portée de main. C’est la quille ! Apparue dans les années 30, l’expression viendrait du verbe « quiller » (abandonner) ou de « jouer des quilles » (s’enfuir à toutes jambes). La quille, c’était aussi le surnom du bateau ramenant les délivrés de Cayenne. Un synonyme de liberté.

Et dans certains régiments militaires, un totem bien réel, personnali­sé (avec le nom de l’appelé et son numéro de matricule gravés), que les démobilisé­s gardaient en souvenir. C’est un trophée pour nous aussi, parce que, ces vacances, on ne les a pas volées.

Alors, en voiture Simone !, clin d’oeil à Simone Louise de Pinet de Borde des Forest, pilote automobile dans les années 20, première femme à décrocher son permis, à gagner des rallyes et à ouvrir une auto-école (en 1950). On appuie sur le champignon : si la pédale d’accélérati­on actuelle ne ressemble plus vraiment à un bolet, au début du XXe siècle, c’était le cas, avec une tige métallique surmontée d’une bouboule. Vroum.

PLEIN SUD

Nous voilà sur la route des vacances… Oui, mais laquelle ? Comme s’il n’en n’existait qu’une… Eh bien oui. Et toute allusion à la mythique nationale 7 n’est pas fortuite. Cet axe serpentin de 996 km, partant du coeur de Paris pour rejoindre Menton et la Côte d’Azur, fit les beaux jours d’une file indienne de 4L et de « Deudeuches » dans les 60’s, vélos à l’arrière et barque sur la galerie. La RN7, c’est notre Route 66 à nous pour filer vers le Midi, et qu’importe les bouchons. Comme le chantait Charles Trénet : « On est heureux nationale 7…»

DIRECTION LA PLAGE

Gougounes aux pieds, comme diraient les Québécois. Pardon ? Nu-pieds, sandales, slaches (en belge), tongs… Les premiers modèles connus – en papyrus tressé et lanières de cuir – remontent à l’Égypte antique et au pharaon Narmer. On n’a rien inventé. En France, la tong – de l’anglais thong = lanière – serait arrivée en 1970, jouant des coudes sur les étals de bord de mer avec l’iconique Méduse. Son atout ? Elle s’enfile vite et permet de garder les orteils en éventail. Cette expression traduit bien la complète relaxation (on est détendue de la tête aux pieds), mais qui pourrait aussi avoir une origine médicale moins glamour : pour soigner les mycoses des pieds au Moyen-Âge, on les asséchait en écartant les orteils avec des sortes de petits éventails, obligeant les patients à rester au repos.

RELAX

Le programme des vacances ? Farniente (de l’italien fare = faire + niente = rien, on ne peut pas être plus clair) et grasses matinées, dont on trouve déjà trace au XVIIe siècle (chez Regnard, le Poulidor du théâtre comique après Molière), qui viendrait du latin crassus, épais, pour son côté onctueux. Miam, le roupillon. Il faut se la couler douce (au XIXe siècle, on disait juste « couler une vie douce »). Ou bayer aux corneilles ( et non pas « bâiller »), qui signifie rester bouche bée devant des choses sans intérêt, voire glander (clin d’oeil aux cochons du MoyenÂge, qui fouillaien­t sans se presser la terre au pied des chênes pour gober les glands). Bref, on est OKLM, lâcherait Enzo, 12 ans, qui abuse du langage SMS et raccourcit l’expression ainsi « Au calme ». En 1975, on aurait dit relax ou, pire, « Relax Max » et tous ses dérivés (« Cool Raoul », « Tranquille Mimile »,

« À l’aise Blaise »…), jouant sur des assonances faciles. Qu’on laisse volontiers aux poètes pouët-pouët.

SOUS LE SOLEIL EXACTEMENT

Sea, Sex and Sun. Avec cette chanson de Gainsbourg, générique du film Les Bronzés, l’expression devient populaire. Triade de belles promesses. Avec cette idée qui domine : on veut buller. Dérivé de « coincer la bulle », argot militaire des tirailleur­s de Saint-Cyr, qui réglaient leurs pièces d’artillerie avec une bulle. La mise au point faite, il n’y avait plus qu’à attendre. Comme nous, alanguie sur notre serviette. Objectif : se dorer la pilule. Comme les apothicair­es qui enrobaient leurs médocs pour faciliter la prise, Molière et Corneille utilisaien­t cette expression pour enjoliver les choses, donner un tour agréable aux petits désagrémen­ts. Nous, on se tartine au soleil. On fait bronzette. Ou du bronzing, néologisme franglais popularisé en 1964 par le livre Parlez-vous franglais ? (éd. Gallimard). Au passage, il s’agit d’un faux emprunt : on ajoute simplement une terminaiso­n en -ing à un mot parfaiteme­nt français (comme dans « forcing »).

À BOIRE ET À MANGER

19 h : apérooo ! Du verbe latin aperire, « ouvrir », voilà de quoi nous mettre en appétit. Alors, on trinque : tchin-tchin, inspiré d’une formule de courtoisie chinoise à mi-chemin entre « bonjour » et « je vous en prie » (et à surtout ne jamais dire au Japon, car il signifie « pénis »). Et zou, on fait chauffer le barbecue, piqué aux Américains dans les fifties, qui l’avaient eux-mêmes emprunté aux Amérindien­s : barbacoa désignait une claie de bois pour fumer la viande. Car on adore dîner à la bonne franquette, expression d’origine normande ou picarde, remontant au XVIIe siècle pour distinguer les repas

« à la française » (très chic) de ceux plus « francs » (sans manières). Parce que, l’été, on aime les chouchous, pas les chichis.

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