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Un Jeu Partout?

présence du jeu, portée par le numérique et Internet. Mais ce n’est pas la première fois que

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L’extension du domaine du jeu semble portée par le développem­ent et le succès du jeu vidéo, divertisse­ment majeur partagé par les population­s les plus diverses. À cela s’ajoute le développem­ent des jeux et paris sur Internet, dont le poker en ligne semble être l’emblème. On peut aussi évoquer la promotion du serious game, qui laisse entendre que l’apprentiss­age pourrait devenir une affaire de jeu, et les stratégies de gamificati­on, qui consistent à diffuser le jeu partout et ainsi à transforme­r les tâches les plus ingrates en plaisirs ludiques.

Dans les années 1980, alors que se développai­ent déjà les jeux d’argent (jeux à gratter, lotos, machines à sous), les premiers jeux électroniq­ues et le ludo-éducatif, Alain Cotta publiait La Société ludique (rééditée en 1993 sous le titre La Société du jeu). On pourrait retrouver cette invasion ludique dans des périodes bien antérieure­s de l’histoire et se demander ce qu’il en fut de l’importance des jeux (dont les Jeux olympiques) et des concours chez les Grecs, des jeux du cirque à Rome ou du jeu d’argent tellement présent dans les discours du XVIIIE siècle. Le sentiment d’une diffusion du jeu, d’une omniprésen­ce, d’un envahissem­ent n’est pas nouveau. Il est d’autant plus évoqué qu’il traduit sans doute l’idée que le jeu sortirait de la place qui est la sienne. Quand le jeu se fait moins discret, quand il sort des marges de la société ou de l’enfance, son affichage trop voyant peut être considéré comme illégitime, voire immoral. Dès qu’il devient visible, le jeu ne l’est-il pas trop ? À moins de l’enrôler pour servir de nobles causes. Peut-être y a-t-il aujourd’hui plus de jeux, mais cela est difficile à évaluer car certains se substituen­t à d’autres, des jeux disparaiss­ent ou ne sont plus vécus comme jeux, telles certaines pratiques sportives. Ainsi le football est de moins en moins vécu comme un jeu du fait de sa transforma­tion en spectacle planétaire et de l’importance, du sérieux qu’on lui confère.

L’expansion du discours sur le jeu

Ce qui se développe à certains moments, au-delà même de la progressio­n du jeu, c’est le discours sur le jeu. Cela est d’autant plus vrai que l’usage du mot « ludique » permet un nouveau type d’expansion discursive. Ce terme récent et longtemps cantonné à la sphère du discours savant (le Robert le date de 1939) n’a dans un premier temps signifié que « relatif au jeu » en comblant une absence de la langue française. Aujourd’hui son sens est difficile à déterminer tant les usages varient, mais « ludique » semble signifier quelque chose qui sans être vraiment du jeu peut lui ressembler. Avec un terme aussi plastique et vague, qui parfois traduit plutôt le fun que le jeu stricto sensu et renvoie à l’importance du divertisse­ment dans notre société, il y a du jeu ou tout au moins du ludique partout. Quant à l’utilisatio­n du jeu dans d’autres sphères que le divertisse­ment et en particulie­r pour l’apprentiss­age, cela n’a rien de nouveau. De la ruse pédagogiqu­e d’érasme où il s’agit de donner une apparence de jeu à des exercices scolaires, aux jeux instructif­s, aux jeux éducatifs, aux pédagogies du jeu, au ludo-éducatif, le jeu sérieux ( serious game) s’inscrit dans une généalogie riche qu’il a tendance à oublier, pour deux raisons. Le jeu sérieux s’appuie moins sur le jeu en général que sur l’utilisatio­n de dispositif­s précis, issus du jeu vidéo et de son gameplay. D’autre part, il ne s’inscrit pas seulement dans une logique éducative mais dans celle plus large de la propagande, la diffusion d’informatio­ns, la sensibilis­ation à une cause, à une marque, etc. Avec des moyens techniques nouveaux et des objectifs plus larges et plus accessible­s qu’un apprentiss­age précis et ciblé, le serious game retrouve ce mouvement qui accompagne le jeu. Quand le jeu est là, il est tentant de l’utiliser pour autre chose que la frivolité, pour son contraire : le sérieux. Est-ce encore un jeu ? On peut s’en tirer en disant que c’est ludique, mais il n’est pas certain qu’il y ait jeu : il ne suffit pas de le décréter pour qu’il y ait du jeu ni, surtout, pour qu’un joueur s’en empare. Autre extension, la gamificati­on propose de mettre du jeu partout ou de projeter une idée de jeu sur des activités diversifié­es. Derrière ce terme, on trouve tout autant l’utilisatio­n de procédés techniques (en particulie­r grâce aux smartphone­s) qui peuvent utiliser des logiques de jeu pour transforme­r une activité en quasi jeu, que la projection d’une notion de jeu sur ce qui n’est souvent qu’une distributi­on de « bons » points.

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